Keep Watching the Skies! nº 57, août 2007
James Blish : Semailles humaines
(the Seedling stars)
roman de Science-Fiction par nouvelles
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De temps en temps, on se sent moins vieux. Par exemple quand est réédité un roman de Science-Fiction antérieur à sa propre année de naissance, même si ce n'est pas de beaucoup. Et puis il est bon de se replonger dans la Science-Fiction d'autrefois, comme pour se ressourcer. Pour voir ce qu'elle a tout à la fois d'archaïque et de profondément actuel. Et pour comparer avec des souvenirs d'anciennes lectures.
Ici, on trouve l'efficacité de la technique du fix-up. Quatre nouvelles de tailles différentes, avec des personnages différents, mais une même thématique, qui racontent quatre histoires, puis une cinquième née des quatre autres et qui est le livre lui-même, l'histoire de l'adaptation des humains à différentes planètes. D'abord à Ganymède, notre banlieue pour ainsi dire, puis à une planète ressemblant fort à la nôtre au tertiaire, avec forêts tropicales et dinosaures voraces, puis aux mares d'un monde recouvert d'eau, et enfin à la Terre elle-même, devenue inhabitable pour les hommes originels. Même biaisée par l'inégale longueur des nouvelles, la symétrie entre un départ et un retour, est accrue par le fonctionnement des deux textes intermédiaires, où les humains non modifiés sont présents respectivement à la fin et au début. Cette architecture contribue peut-être à faire oublier des contradictions, éventuellement des incohérences, concentrées dans le troisième quart du volume. Et elle contribue aussi à porter des valeurs, sympathiques ou non…
Côté contradictions, on flotte quelque peu entre l'inné et l'acquis, la mise en route d'une culture primitive par des “dieux” et son développement autonome sans doute par la magie des gènes. Et dans le cas d'une Humanité ramenée à l'échelle des animaux peuplant une mare, on peut se demander comment une pensée peut naître avec un nombre fatalement réduit de neurones — tant pis si cette considération est considérée comme bassement matérialiste. Par ailleurs, on est dans un discours tout à la fois d'ouverture et d'exclusion. D'un côté, les différentes formes humaines sont d'égale dignité, malgré les réticences, les racismes explicites, voire les persécutions, manifestes dans le quatrième et surtout dans le premier texte ; mieux, notre modèle standard ou originel d'Humanité n'est sans doute pas le plus honorable au vu de son comportement envers les autres et de ce qu'il fait de sa planète — le roman date de 1957 et avait manifestement une remarquable avance sur l'opinion publique ou la conscience collective. D'un autre côté, s'il y a bien un antiracisme manifeste, l'unité du genre humain au-delà des adaptations multiples se fait aux dépens d'autres espèces, dans les deuxième et troisième nouvelles. Certes ces espèces sont peu agréables à fréquenter et pour tout dire franchement prédatrices, entre para-tyrannosaures et micro-carnivores d'eau douce ; mais elles sont aussi proprement génocidées : c'est la loi de la jungle, en quelque sorte, même si la vérité oblige à nuancer le propos, pour faire place à d'autres créatures aquatiques avec lesquelles des humains modifiés vivent en bonne intelligence, même si elles restent énigmatiques.
Il ne s'agit pas de regretter ici que Blish n'ait pas appliqué le principe du “tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil” dans une galaxie peuplée de bisounours, mais de souligner la tension entre une classification amis/ennemis sur une base purement biologique, et un discours par ailleurs fondé sur l'ouverture et la générosité. Mais c'est peut-être là un début de complexité qui est un des intérêts du livre… même un demi-siècle après sa publication.
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