Keep Watching the Skies! nº 59, janvier 2008
Jean-Marc Lofficier ; Philippe Ward : Dieu reconnaîtra les siens…
anthologie de nouvelles partiellement fantastiques
Chalabre est un village de l'Aude pyrénéenne, à deux pas de l'Ariège et du pays de Montségur. On ne s'étonnera pas qu'il s'y tienne un concours de “nouvelles cathares”, et on ne s'étonnera qu'à moitié que le livre qui en est issu soit techniquement réalisé par Black Coat Press, ceux qui nous offrent la collection "Rivière blanche", Philippe Ward (qui a présidé le jury du concours) et Jean-Marc Lofficier (qui écrit la préface du recueil).
Bien sûr la plupart des dix-huit textes du recueil sont brefs, et beaucoup relèvent avant tout de la fiction historique ou de l'Histoire secrète (confréries cachées et malédictions séculaires…). Ils sont écrits par des amateurs, avec des points de vue et des idées plus ou moins originaux, et une écriture souvent plate, parfois maladroite quand elle se veut soignée — on notera par exemple un abus fréquent des maniérismes médiévaux, ou des occitanismes sans nécessité.
Au total c'est quand même beaucoup plus lisible que j'aurais pu le craindre ! Pour les lecteurs de KWS, je relèverai les textes qui s'écartent du réalisme. On trouve de l'Histoire secrète, sur le mode du Trésor Caché des Cathares, inévitablement, avec "Mémoire Cathare" de Christian Perrot, "Cauchemar" d'Éric Rochegude, "l'Héritage" de Philippe Leger (une histoire de réincarnation), et "Corpus Christi" de Nicolas Preston (le plus spectaculaire, avec un côté Thriller fantastique qui aurait demandé des développements plus longs et plus étayés). Mais le récit d'Histoire secrète le plus réussi, sur le mode des confréries cachées assurant la survivance de la religion dualiste des bons hommes, est celui de Frédéric Guichen, "Ecce homo perfectus" (deuxième prix du concours), dans lequel les Cathares secrets essaient de recruter Friedrich Nietzsche. On dirait du Réouven, c'est dire.
La plupart des fictions historiques s'en tiennent au réalisme, les circonstances qui les entourent fournissant une intensité dramatique largement suffisante. On notera une légère teinture de fantastique dans "Menthe sauvage" d'Estelle Faye. "Apparitions", de Valérie Abbadie, mélange les époques médiévale et contemporaine dans une histoire de collision temporelle relevant plus du Fantastique que de la S.-F.
Le déroulement de la croisade “des Albigeois” a été sanglant et longtemps indécis (les campagnes militaires s'étageant de 1209 à 1229, avec une reprise en 1242-1244). Il y a là un champ fertile pour l'uchronie, qui est effleuré par Marie Pierre Debats dans "Cendres", où un sorcier de l'époque des Cathares entrevoit par magie plusieurs futurs possibles. Le premier prix du concours est allé au récit uchronique d'Alain Paul : "Sauf si", qui relate l'événement qui permet aux Cathares d'avoir le dessus lors du siège de Montségur. Outre l'invraisemblance du montage, j'ai été déçu par le fait que l'uchronie se concentre sur les détails militaires de l'événement-pivot historique, plutôt que sur ses conséquences à plus long terme. Ce petit regret est plus que racheté par le texte (curieusement non primé) qui conclut le recueil, "Moi, l'anonyme" de Joseph Navarro, qui mêle uchronie rapidement évoquée, culture historique et littéraire (l'anonyme est ici celui qui a écrit la deuxième partie de la Chanson de la Croisade, cité dans le texte original occitan du xiiie siècle), et chassés-croisés temporels.
Les amateurs de la période historique trouveront ce recueil à leur goût, et les complétistes de l'uchronie devraient noter son existence.