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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 61 Glasshouse

Keep Watching the Skies! nº 61, décembre 2008

Charles Stross : Glasshouse

roman de Science-Fiction inédit en français

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chronique par Pascal J. Thomas

Quelques siècles dans le futur. L'Humanité, dans ses habitats artificiels en orbite autour d'étoiles obscures, a adopté des formes physiques tout aussi artificielles — le tout rendu possible par les portails, de transport ou d'assemblage (T-Gates ou A-Gates), qui permettent d'analyser jusqu'au niveau moléculaire, puis de resynthétiser les êtres vivants. Avec un certain degré de réécriture s'il le faut, d'où la possibilité non seulement de se faire soigner corps et esprit, mais aussi celle de changer de dépouille corporelle en choisissant parmi une gamme très étendue de possibilités, organiques ou non.

Robin a été récemment ressuscité, et lors de son passage devant les chirurgiens-confesseurs, son moi précédent a jugé bon de procéder à de vastes coupures dans ses souvenirs. Cela tracasse bien un peu notre protagoniste, mais ne l'empêche pas de nouer une idylle torride avec Kay, superbe femme à quatre bras, et de se porter volontaire pour une expérience de recréation en vase clos d'une miniature de la société des Âges Sombres — voui, vous avez deviné, cette époque primitive entre 1950 et 2050, grosso modo, qui a connu des pertes massives de mémoire sur son histoire et sa culture en raison du passage à des modes de conservation de l'information digitalisés, insuffisamment pérennes, et incompatibles entre eux à cause de la rapacité des sociétés commerciales.

Réincarné en femme, Robin découvre vite que cette caricature à petite échelle des banlieues prospères de l'Amérique des années 1950 n'est pas motivée par la curiosité scientifique, mais par des motivations beaucoup plus sinistres. Surtout quand ses souvenirs censurés commencent à lui revenir, avec des informations sur le lourd passé des “expérimentateurs” en chef.

S'il se tient assez courant des évolutions technologiques pour servir un discours pseudo-scientifique de haut niveau, Stross ne fait pas dans la dentelle côté morale : les méchants de son roman sont des criminels de guerre qui ont pour modèle les médecins des camps de la mort nazis, et Robin, malgré l'horreur que lui inspirent les violences auxquelles il a dû se livrer autrefois au service de la bonne cause, doit retrouver ses réflexes de soldat. La subtilité intervient ailleurs : comme la mémoire et la personnalité peuvent être réécrites à volonté, comme les copies d'un même individu peuvent être multipliées à l'envi, l'identité est un questionnement permanent (et le crime le plus haïssable reconnu par la société du narrateur est le vol d'identité). “[S]ince the Acceleration, the prevention of identity theft has become one of the core functions of government, any government. It's not just a matter of preventing the most serious crimes against the person; without time and authentication, little things like money and law enforcement stop working.” (p. 268-269). Stross reprend des motifs très utilisés par John Varley, mais intègre totalement la variabilité corporelle et identitaire dans la structure des sociétés qu'il évoque. Dans ce contexte, la pire catastrophe imaginable est l'arrivée d'un virus infectant le logiciel de réécriture mentale des portails — et c'est justement pour combattre une telle épidémie que Robin, dans une vie passée, a été cyborg.

Stross intègre la problématique de l'identité dans la narration aussi. Des pans de souvenirs de Robin ressurgissent de façon aléatoire (apparemment seulement : son moi ancien a voulu guider les pas de son avatar futur), et son caractère même change au gré des avanies subies par son logiciel personnel. Bien souvent, il ne sait plus qui il est. Ou qui elle est. Ou qui ils sont, et on peut s'attacher à cet aspect du roman plus qu'aux péripéties grossièrement physiques. Car il y en a quand même, Stross s'amusant autant que dans des romans comme Aube d'acier — ce n'est pas lui qui nous baignerait dans un univers intégralement virtuel à la Egan. Attendez-vous à quelques beaux duels à l'épée (dont la présence sera, comme il se doit et avec un zeste de mauvaise foi, abondamment justifiée).

L'aspect le plus amusant du livre est l'anti-sexisme virulent de Stross. Venant de la part d'une femme, on crierait à l'exagération, mais Stross, comme Varley là encore, peut être décrit comme “un” féministe. Robin (devenu Reeve, une femme) laisse échapper nombre de remarques (faussement) ingénues ou indignées sur le monde artificiel (et non virtuel) dans lequel se déroule la majeure partie du roman, monde qui étale un machisme particulièrement caricatural. L'effet oscille entre comique et indignation, mais on ne peut s'empêcher d'être d'accord avec l'auteur sur la ridicule improbabilité du monde où nous vivons (et ne parlons pas du costard taillé aux clowns en soutane…).

Pas aussi audacieux qu'Accelerando, mais plus inventif que les space operas de la série commencée avec Crépuscule d'acier (et plus que sa série d'univers parallèles à la Keith Laumer, cela va sans dire), Glasshouse n'est pas sans défauts : les personnages, hormis le narrateur, sont décrits à la serpe, et le roman finit par céder aux penchants de la S.-F. pour une bonne scène de bagarre, même s'il faut rendre grâces à l'auteur de l'avoir par une pirouette réduite à une paire de pages. Mais c'est un livre équilibré, toujours agréable à lire, et qui donne à penser de temps en temps. Bref, un roman de S.-F. comme on aimerait en avoir bien plus !