Fait extraordinaire, les témoignages qui constituaient l'énorme dossier des soucoupes volantes avaient presque totalement cessé d'affluer au moment de l'apparition des Yeux géants, quand la conviction s'était répandue que les étrangers étaient réellement présents sur la Terre. Comme si le merveilleux avait soudain changé de face.
Extraterrestres, non-humains ? Mais rien ne prouvait que les visiteurs ne fussent pas humains. Au contraire, on avait de bonnes raisons de penser qu'ils étaient semblables à nous. Une minorité de la population, encline au mysticisme, croyait à la venue des anges, des Envoyés célestes, dépêchés par le Père pour préparer le jugement de l'Humanité… Il était difficile, même pour les sceptiques et les agnostiques, de ne pas envisager au moins un instant cette colossale hypothèse.
Comme beaucoup de Français et peut-être un petit nombre d'Occidentaux, je m'étais rappelé un ver fameux de Victor Hugo : « L'œil était dans la tombe et regardait Caïn. » Ou quelque chose comme ça. Ainsi, une fraction non négligeable de nos contemporains pensaient que les Extraterrestres avaient envoyé les “yeux” pour nous observer et nous juger. Eux-mêmes se sentaient, à tout moment de leur vie, jugés. Quelques-uns, aussi, croyaient que les Yeux géants étaient les étrangers même. Une belle idée poétique mais peut-être trop irréaliste, que j'avais presque acceptée à une certaine époque.
Plus tard, l'opinion se répandit que les Yeux géants étaient l'image agrandie, holographique, d'yeux humains. Une image projetée sur notre monde non par la colère de Dieu, mais par les moyens d'une technologie très avancée, qui pouvait cependant très bien être d'origine terrestre. Les partisans de la thèse extraterrestre disaient : « Si leurs yeux sont humains, pourquoi ne le seraient-ils pas également ? ».
Je n'avais jamais vu d'Yeux géants dans le ciel. Je n'avais pas de conviction bien arrêtée sur le phénomène. Professionnellement, je devais pourtant donner mon avis et, si cela ne contrariait pas les idées de mes clients, je soutenais avec modération la thèse d'une intervention technologique d'origine terrestre. C'était encore l'explication la plus plausible, bien qu'il fût tout à fait impossible d'identifier les mystérieux manipulateurs.
J'étais assistant personnel (human assistant, disent les Anglo-Saxons) à la Sapur Bolosoï. Le sigle signifie simplement Société d'Aide Personnelle d'URgence, équivalent approximatif de Human Assistant Service. Les services d'assistance humaine s'étaient multipliés dans les dernières années du xxe siècle et les premières années du xxie. C'était une activité lucrative, dont le champ s'élargissait sans cesse. Avec l'information de la société, les gens se trouvaient de plus en plus souvent en face de problèmes qu'ils étaient tout à fait incapables de résoudre et parfois même de concevoir. L'administration cumulait les traits de la baleine, de la pieuvre, du bœuf, du lézard, de la tortue et de quelques autres animaux de moindre importance et d'ailleurs en voie de disparition. Les citoyens infantilisés par ce qu'on appelait toujours le “système” avaient de moins en moins d'autonomie et d'aptitudes à prendre en charge leur propre destin. Le moindre aléa les trouvait affolés, désarmés, perdus.
Enfin, la publicité naturellement s'en était mêlée : Vous avez des problèmes humains ? Confiez-les à des professionnels et dormez tranquilles…
Au début, les services d'aide personnelle traitaient surtout des cas classiques, à base de situations financières ou sentimentales inextricables. Il y avait aussi, parfois mais très rarement, quelques affaires de hantise, de disparitions inexpliquées, de persécution surnaturelle. Cela ne représentait pas plus de cinq pour cent de notre activité. Ce qui était encore beaucoup… Les fantômes, doubles et autres morts-vivants, s'étaient mis à grouiller comme la vermine sur une paillasse, en se manifestant de plus en plus de façon publique. Certains n'hésitaient pas à jeter leurs douteuses confidences sur la place de l'église, devant toute la population d'un village réuni pour l'occasion.
Les métamorphoses animales remplaçaient, du moins en partie, les fugues classiques. Les jeunes garçons et les jeunes filles se changeaient souvent en guette-agile : c'était de petits animaux gris pâle, mimétiques et, de ce fait presque invisibles. Ils vivaient dans le sud de l'Europe et des États-Unis, ainsi qu'en Afrique du nord. Ils se tenaient à l'extrême cime des grands arbres, jouant et bondissant : ils paraissaient complètement affranchis de la pesanteur… Beaucoup de jeunes Occidentaux trouvaient ce genre d'existence grisant et sublime. Les plus âgés, en particulier les femmes de trente à quarante ans, appréciaient moins la vie au sommet des arbres et se transformaient plus volontiers en chien aux yeux dorés. Ces bêtes-là se réunissaient la nuit en meutes cruelles et tendres, rêveuses et dévorantes. Elles déchiquetaient des proies, surtout des petits enfants, qui se trouvaient reconstitués dans leur intégrité quand le soleil se levait. À ce moment-là, les chiens perdaient leurs yeux dorés, qui étaient aspirés par la lumière du jour et montaient vers le ciel en vols serrés. Et Dieu sait quoi encore…
Et puis il y avait les résurrections, vraies ou truquées, surtout fréquentes dans les cimetières isolés ou abandonnés. Les services Phénix des associations de consommateurs s'acharnaient à nier la réalité du phénomène, évidemment tout à fait incroyable. Mais ils ne parvenaient pas à prouver le trucage et encore moins à prendre les manipulateurs sur le fait. Pour ceux qui croyaient à l'origine extraterrestre des Yeux géants, les responsables des résurrections, comme de tous les Phénomènes Non-Identifiés X (en abrégé Phénix) qui hantaient le monde depuis les dernières années du xxe siècle, étaient les Bigueyeurs, c'est-à-dire les mystérieux envahisseurs de la Terre…
En d'autres temps, on n'avait pas à discuter du bien fondé d'un cas de résurrection : Il n'y avait pas de résurrections, car la résurrection était impossible. Le bon sens, la raison, l'expérience, la science et les règles administratives le garantissaient. Mais l'expérience avait changé de camp, le bon sens tournait comme une girouette, le cours de la raison était en chute verticale, la science oscillait entre le vertige et l'anathème. Seules les règles administratives tenaient bon. Il fallait s'en accommoder. En pratique, les “problèmes humains” se posaient avec urgence et acuité. L'intervention des professionnels — c'est-à-dire nous — s'avérait le plus souvent nécessaire pour les résoudre.
Je n'avais jamais eu à m'occuper personnellement d'une affaire de résurrection ; mais je savais que cela viendrait tôt ou tard. J'avais essayé de me documenter sur la question auprès du Best : Bureau d'Évaluation Sociale de la Technologie (en anglais Iota : International Office of Technology Assessment). Pour le Bureau, il y avait dans les phénomènes de résurrection une technologie à l'œuvre. « Nous souhaitons l'identifier pour l'évaluer. » précisaient les responsables d'Iota. Malheureusement, ils n'avaient encore rien identifié ni évalué… À la New European Consumer Association, je connaissais un “civil” du service Phénix. Mais son travail consistait à jurer que les morts ne renaissaient pas de leurs cendres, comme le Phénix d'illustre mémoire. Et aussi à prétendre qu'il n'y avait pas dans le ciel de la Terre d'engins volants X, que personne ne pouvait prévoir l'avenir, que la télépathie n'existait pas, etc. C'était un peu court comme tactique.
Les dénieurs des sociétés de défense des consommateurs devaient, sauf exception, nier en bloc les résurrections. De l'autre côté, il y avait les auditeurs, privés ou dépendant d'organismes sociaux, qui avaient pour rôle d'accepter tout et n'importe quoi… Très difficile de se faire une opinion. Peut-être fallait-il attendre que les Bigueyeurs viennent s'expliquer. Un certain nombre de prophètes s'étaient mis d'accord pour annoncer le débarquement général à l'aube du 4 février 2011 !
Cependant, je réussissais tant bien que mal dans les affaires de guette-agiles et de fantômes-faux témoins que la Sapur Bolosoï m'avait confiées. Au début de l'été 2009, un client nommé Martin Prelly fit appel à la société pour un cas de disparition. Notre bureau lui répondit comme d'habitude qu'il devait d'abord s'adresser à la police ou à une agence de détectives. Nous pouvions seulement l'aider pour ces démarches. Monsieur Prelly accepta : il souhaitait qu'un agent de Bolosoï vienne se rendre compte sur place, car il ne savait que dire aux policiers ou aux détectives.
Je fus chargé de l'affaire et quelques heures plus tard, je basculai dans ce qu'Andrew Watson, le spécialiste de la logique des champs, appelait le “continuum non-rationnel”. Et cela malgré une intense résistance.
Martin Prelly s'occupait de prospection minière dans les fonds du Pacifique. Plus exactement, il gérait une agence de location de matériel et de services aux prospecteurs individuels et aux petites sociétés, ce qui était sans doute moins dangereux et plus lucratif que de plonger à la recherche des nodules sous-marins.
Schéma classique : pendant qu'une ou plusieurs vahinés veillaient sur sa santé, sa femme, Diana, était revenue en Europe. En Europe où elle s'ennuyait, naturellement. Elle avait disparu. Un service de recherches privé avait mis Martin Prelly sur une piste qui s'était avérée excellente, mais refusait maintenant d'aller plus loin.
« Pourquoi ? »
Mon client haussa les épaules : « Venez et vous verrez ! ».
Nous arrivâmes dans une petite ville du Midi qui offrait durant tout l'été des attractions foraines prétendues inédites aux touristes de passage. Il n'y avait là, en fait, rien de très nouveau. Tout autour de la Méditerranée, cent villes ou villages, sans parler des stations flottantes, se disputaient les numéros, les artistes ou les matériels en vogue. Et on voyait à peu près la même chose partout.
Martin Prelly me conduisit à travers la foule dénudée, au milieu des chapiteaux bigarrés, à un montreur de “ruches humaines” qui prétendait au nom ronflant de Shri Karman van Bender. La ruche n'avait rien de particulièrement extraordinaire. C'était une maquette d'immeuble de quatre mètres de hauteur, transparente, à l'échelle d'une tour d'habitation. Un escalier en hélice pour les visiteurs l'enveloppait. Il existait trois ou quatre plates-formes d'observation, munies de longues-vues et un endroit où, en acquittant un supplément modique, on pouvait toucher et prendre en main les minuscules habitants de la ruche humaine.
Shri Karman van Bender, comme tous ses collègues, prétendait que les hommes et les femmes miniaturisés qui peuplaient sa maquette étaient des êtres vivants produits par manipulation génétique. Les visiteurs les plus naïfs le croyaient ; les autres faisaient semblant. Les spécimens que l'on pouvait toucher et soupeser étaient en fait des poupées-robots de trois à cinq centimètres de hauteur : de merveilleuses réalisations de la micro-électrique moderne. Quant aux centaines de sujets que l'on voyait vivre et vaquer à toutes leurs occupations à travers les parois transparentes de la maquette, c'était — les enquêtes des associations de consommateurs l'avaient prouvé — de simples projections holographiques.
Après avoir payé notre entrée, Martin Prelly avait monté l'escalier et s'était installé sur la plate-forme supérieure. Là, il avait attendu en piétinant d'impatience qu'une longue-vue devint libre. J'écoutais le boniment du montreur.
« Pourquoi cette appellation de ruche ? L'immeuble est tout l'univers de ces petits êtres. Ils sont un peu plus de neuf cents et forment une seule communauté. Leur organisation sociale est à mi-chemin entre celle des insectes et la nôtre, ainsi que vous pourrez le constater en les observant de plus près. Vous remarquerez que certains vivent en permanence nus, alors que d'autres portent diverses sortes de vêtements et même des uniformes… »
L'attraction de Shri Karman ne semblait pas attirer la foule. Si l'on tenait compte des frais de fonctionnement et de l'amortissement de ce coûteux matériel, le montreur ne devait pas faire de gros bénéfices ! Je regardai mon client qui manipulait sa longue-vue fiévreusement, avec des gestes d'irritation et de déception.
Il me signe d'approcher et me dit à voix basse : « Elle est là ! Mais je n'arrive pas à la repérer aujourd'hui…
— Diana ?
— Bien sûr. À moins qu'il l'ait emmenée !
— Qui ?
— Vous me le demandez ? Les Bigueyeurs, naturellement. Ce type, Van Bender, travaille pour eux. Il est peut-être même un des leurs ! »
Depuis un moment, je m'attendais à quelque chose de ce genre. Je ne discutai pas. En d'autres temps, j'aurais pu penser que Martin Prelly était fou et agir en conséquence. Dans le monde où nous vivions, je n'avais pas ce droit… Plus tard, je devais réfléchir à certains aspects intéressants de cette affaire. Dans l'immédiat, je fis mon travail, c'est-à-dire que j'entrepris d'aider mon client. Je mis en route à son profit la mécanique puissante et bien rôdée de la Sapur Bolosoï, et, quant à moi, je décidai de m'attacher à ses pas pour ne plus le quitter. Avec son consentement, qu'il m'accorda sans hésiter.
J'essayai de suivre le cheminement de sa pensée et de ses soupçons avec un esprit ouvert — très ouvert. Par ailleurs, je déclenchai l'enquête habituelle, en fonction des moyens de notre client, qui étaient importants. J'avais fondé un certain espoir sur la société de recherches Gerhard & Anvers : les détectives qui avaient conduit Martin Prelly au montreur Van Bender. Ces gens-là refusèrent toute coopération. On aurait dit qu'ils regrettaient de s'être engagés dans cette affaire et qu'ils préféraient maintenant l'oublier. De toute façon, nous avions nos propres sous-traitants et, dans les cas de ce genre, nous reprenions toujours les enquêtes à zéro. Ce qui fut fait.
Je demandai à Iota et à la New European Consumer Association leurs dossiers sur les montreurs de ruches et les fis étudier par nos services techniques et nos ordinateurs. Bien entendu, le sieur Karman van Bender fut placé dans notre collimateur… Cependant, j'appliquai la règle d'or des phénomènes : ils sont tout à fait réels pour ceux qui les subissent. Avec les photocubes fournis par mon client et les renseignements qu'il m'avait donnés sur la position de “Diana” dans la ruche, je demandai à nos enquêteurs une identification du sujet.
Les techniciens de Bolosoï n'avaient pas l'habitude de discuter les ordres, si étranges qu'ils fussent. Ils se mirent au travail. L'identification fut positive : je m'y attendais un peu. Diana était dans la ruche. Plus exactement, elle avait tourné le film que le montreur Van Bender projetait à l'intérieur de sa ruche pour donner l'illusion d'une population vivante. Le cinéma électronique permettait de donner à chaque personnage une certaine autonomie et de le faire agir en fonction des autres et du décor. Les montreurs de ruches utilisaient bien entendu cette technique.
La suite de l'enquête confirma l'explication. Karman van Bender était non seulement montreur : il produisait aussi des films pour les ruches. Ce genre de spectacles était en plein essor. Contrairement aux apparences, les affaires du cher Shri marchaient très bien. Et Diana Prelly avait trouvé sa voie : elle continuait sûrement de tourner dans les médiocres productions de Van Bender ou de n'importe quelle officine de cinéma électronique !
Très bien. Il me restait à réunir tous les fils de l'enquête et à faire accepter les résultats par Martin Prelly.
J'accompagnai une autre fois mon client à la ruche de Van Bender.
« Nous devons être prudents. » me dit-il. « Le risque de fascination est grand. Les ruches servent surtout aux Bigueyeurs à attirer de nouveaux sujets qui seront miniaturisés à leur tour…
— Mais pourquoi tout cela ? » demandai-je.
J'avais pensé exactement : Pourquoi tout ce cinéma ?
Prelly haussa les épaules.
— « Comment savoir ? Nous ne pouvons pas plus comprendre ce qu'ils font qu'un chien ne pourrait comprendre le but et le mécanisme d'une campagne électorale. »
Plus tard, il se mit à pleurer et m'avoua que sa femme était consentante et ne voulait pas quitter la ruche. Je lui demandai comment il avait pu le savoir. Il me répondit qu'il avait pu envoyer un message à Diana à l'aide d'un micro-projecteur. Elle lui avait répondu avec un tableau noir et de la craie. Simplement ceci : Je suis heureuse. Laisse-moi tranquille ! Il aurait aimé tenter une autre expérience de contact ; mais il craignait d'alerter Van Bender et les Bigueyeurs.
Toujours en application de la règle d'or, je décidai d'opérer une contre épreuve à son insu. Je demandai à nos techniciens de projeter un message pour le sujet Diana et d'essayer d'avoir une réponse. La réussite dépassa mes espérances — ou mes craintes, je ne sais pas trop. Le message parvint à destination. La réponse (au tableau noir) fut brève et péremptoire : Allez-vous en !
Truquage ? C'est probable. Mais cela signifiait que Van Bender était au courant de notre intervention… depuis le début sans doute.
J'avais eu le temps de réfléchir à l'affaire. D'un certain point de vue (celui de notre client, par exemple), c'était une “Manifestation X” tout à fait typique. Le thème des humains miniaturisés ou condamnés à rétrécir jusqu'au néant était courant dans la littérature fantastique du xxe siècle. Or Bertrand Méheust, et quelques autres après lui, avaient montré que la “Manifestation X” — et en particulier la manifestation S.V., à laquelle on pouvait rattacher les Yeux géants — tendait à reproduire certains schémas des récits de fiction antérieurs. Un auteur dont le nom m'échappait avait nommé ce phénomène l'“inversion fondamentale”.
Dans un “rapport spéculatif” pour les hautes instances de la Sapur Bolosoï, je proposai une analogie entre l'affaire Diana Prelly et certains cas d'enlèvement par soucoupe volante qui figuraient dans le dossier S.V. Ces cas présentaient d'ailleurs quelques ressemblances avec des variations mythologiques plus anciennes. Je formulai le pronostic que Diana, à la manière des témoins enlevés par une S.V., serait sans doute retrouvée un jour prochain très loin de la région où elle avait disparu, peut-être loin d'Europe. Elle serait probablement choquée, hébétée, dans un état d'épuisement extrême, peut-être amnésique. Ou bien elle ferait un récit incohérent de son aventure. À moins que ses ravisseurs ne lui aient confié un message pour l'Humanité ou quelque chose de ce genre. L'enquête ne permettrait pas d'expliquer sa présence à l'endroit où elle réapparaîtrait.
Mon pronostic s'avéra en partie juste. En partie seulement. Le schéma que j'avais pressenti fut respecté dans ses grandes lignes, mais non dans le détail. Un de nos enquêteurs retrouva Diana Prelly dans une communauté rurale assez proche de la ville ou Karman van Bender présentait son numéro pendant l'été. La communauté était située dans une zone contrôlée par l'armée, ce qui l'obligeait à tenir ses registres en ordre. Il fut prouvé que Diana était inscrite depuis dix-huit mois, c'est-à-dire depuis son retour en France. Et donc qu'elle n'avait pu tourner pour Van Bender. D'ailleurs, les deux pistes, celle de la ruche et celle de la communauté, ne se recoupaient pas. On eût dit qu'il avait existé à un moment donné deux Diana.
La jeune femme semblait partiellement amnésique, comme je l'avais prévu ; elle ne reconnut pas son mari, mais accepta cependant de retourner vivre avec lui. Martin Prelly voulut bien considérer que les Bigueyeurs avaient libéré sa femme grâce à notre intervention et il ne nous tint pas rigueur de son état. Pour la société Bolosoï, l'affaire fut classée.
Mais pas pour moi. J'étais revenu à la ruche de Van Bender avec mon client et nous avions pu observer Diana à la longue-vue. J'avais alors subi les premiers effets de cette fascination contre laquelle Prelly m'avait mis en garde. Je savais que les habitants de la ruche n'étaient que des silhouettes lumineuses, des projections holographiques ou, dans certains cas, de minuscules robots électroniques. Pourtant, je les regardais comme des êtres vivants ; je pensais à eux comme à de tous petits humains. Leur existence et leurs mœurs, dont rien n'était caché aux visiteurs, me passionnaient. Je me mis à les envier… L'affaire Prelly était terminée ; je devins un habitué de ce genre de spectacles. Mon désir de vivre dans une ruche grandit peu à peu et j'appelai la société des films Van Bender pour me proposer comme figurant.