Avant-propos autobiographique au "Livre d'or" Michel Jeury, 1982.
Je suis né en janvier 1934, près d'Eymet, en Dordogne, dans une baraque en ruine. Il faisait froid. La situation de mes parents était plus que difficile. Elle s'améliora un peu dans les années suivantes. Nous avons changé plusieurs fois de logement, tout en restant dans les environs d'Eymet. Vers 1937-1938, mon père a trouvé un emploi de domestique agricole, logé, dans une ferme où il y avait aussi une carrière de pierre. Le propriétaire exploitait cette carrière avec ses ouvriers et transportait la pierre sur les routes. Il possédait un ou deux camions, plusieurs voitures et diverses machines. Il avait aussi un café à Eymet. Plus tard, une cornue à charbon de bois avait été installée dans la carrière. À partir de 1943, la Résistance s'y ravitaillait régulièrement. La maison et la carrière étaient devenues des dépôts d'armes et d'explosifs. C'était extrêmement excitant. J'ai vécu là de quatre ans à dix ans et un bon quart des souvenirs de ma vie me semblent liés à ce décor et à cette époque. Je crois que si j'avais passé mon enfance dans un lieu plus ordinaire, j'aurais été différent.
Ma mère allait travailler dans une usine de conserves. À pied : ce n'était qu'à deux kilomètres. On me mit à l'école vers quatre ans et demi. À l'école libre, parce que là on avait accepté de me garder à l'étude avec les pensionnaires jusqu'à sept heures ; alors ma mère venait me chercher. (À l'école publique, il fallait s'en aller à quatre heures et demie…) Cette attente était longue, incroyablement, désespérément longue pour un enfant de cinq ans. Que faire ? Je trouvai bientôt un moyen de passer le temps : inventer des histoires.
J'ai vécu la guerre, la Résistance dans ce décor. Je me souviens d'une anecdote typique de ma vie à cette époque… Entre notre petite maison et la belle ferme des voisins, à cinq cents mètres, il y avait un endroit touffu, sombre, sauvage, au bord du sentier. J'y avais situé une sorte de monstre qui hantait mes cauchemars. Cela, c'était vers cinq, six ans. Deux ou trois ans plus tard, j'étais obligé de passer tous les soirs à cet endroit pour aller écouter la radio anglaise. Je m'en voulais amèrement d'avoir inventé ce monstre. Et je rêvais d'avoir la colonne Leclerc avec moi ! J'adorais écouter la radio anglaise. Aucune musique n'égalera jamais le fameux pom ! pom ! pom ! pom ! Mais je dois avouer que je lisais également Signal, le magazine de l'armée allemande en français…
À partir de huit ou neuf ans, je me suis mis à lire beaucoup et n'importe quoi, avec une certaine prédilection pour les sujets orientés vers le fantastique et l'anticipation. La première lecture qui m'ait marqué, c'est, je crois, la Fin d'IlIa dans un volume relié de Sciences & Voyages qu'on m'avait prêté. Ce roman de José Moselli a acquis depuis lors une assez grande célébrité. Vers la même époque, j'ai dû lire quelques romans de Jules Verne qui ne m'ont pas beaucoup frappé. Plus tard, il y a une bande dessinée dans Coq Hardi, Guerre à la Terre, des romans de Pierre Devaux, Yves Dermèze. Et un peu plus tard encore, un livre qui m'a émerveillé : le Conquérant de la planète Mars, qui était je crois le premier volume des aventures du capitaine Carter, d'Edgar Rice Burroughs, chez Hachette. Ça, c'est quelque chose de très important pour moi… Cela ne m'empêchait pas de lire toute sorte d'autres choses qui me tombaient sous la main : Balzac, Paul Féval, James Fenimore Cooper, Science & Vie (qui s'appelait encore il me semble la Science et la Vie), Thomas Mayne Reid, Gustave Aymard, Stendhal, Jack London et le journal. Après la guerre, outre les BD de SF, j'ai suivi avec passion une série en fascicules signée Edward Brooker, Pao Tchéou, le maître de l'invisible. Aux environs de 1948, il existait une collection de romans d'aventures qui publiait de vrais petits livres, parmi lesquels quelques récits de Science-Fiction. J'ai oublié noms et titres… L'éditeur avait organisé un “concours de scénarios”. Il s'agissait en fait de proposer des synopsis de romans, susceptibles d'être publiés dans la collection. J'avais envoyé une histoire de flibustiers et une autre de SF. Pour cette dernière, j'ai reçu un prix minuscule : mon premier encouragement à l'écriture.
J'allais à l'école, comme tout le monde. À l'école libre jusqu'à dix ans. Puis, en 1944, mes parents avaient trouvé une métairie dans le Lot et Garonne, dans un endroit très agréable, la maison étant située à dix mètres d'un grand bois. Donc, me voilà pour un an à l'école communale, une école déshéritée et sauvage, l'année de la fin de la guerre. (Quel chapitre ça va faire dans mes souvenirs d'enfance !) Je partage mes loisirs entre la lecture, le travail avec mes parents, la cueillette des champignons, du houx (pour vendre), des glands (pour les cochons), des pissenlits, des fruits sauvages…
L'année suivante, je rentrai au cours complémentaire d'Eymet que je trouvai sinistre et invivable. Je tombais malade sans cesse et me tenais régulièrement entre la trentième et la trente cinquième place donc toujours au fond de la classe. Le moins qu'on puisse dire, c'est que je n'ai pas gardé un bon souvenir des professeurs qui enseignaient dans cette boîte. Je suis quand même passée en cinquième ; mais je n'y suis resté que trois semaines. Après quoi, je suis retourné à mon école de campagne. L'année suivante, j'ai fait une mauvaise quatrième à l'école libre. Puis une mauvaise troisième dans une autre école libre, dans le Lot et Garonne, à l'issue de laquelle j'ai passé le B.E.P.C. de justesse, à la deuxième session.
Naturellement, je continuais de travailler avec mes parents. Et c'était dur. Après, pour ne pas changer, je suis allé dans une troisième école libre (j'avais de trop mauvaises références pour qu'on me prenne dans un collège public ou un lycée). J'ai fait une mauvaise… première, car il n'y avait pas de seconde dans cette boîte, pour des raisons budgétaires. Mes parents payaient ma pension avec des produits de la propriété. Ensuite, j'ai fait une mauvaise classe de maths élem, en payant moi-même ma scolarité par des cours divers (ainsi, je remplaçais le prof de physique de 3e !). Finalement, j'ai passé le bac à la deuxième session. Toujours en travaillant à la propriété dès que je pouvais.
L'année du bac, en 1952, j'avais commencé à écrire un “roman d'anticipation” qui s'est modifié en cours de route, sous l'influence de mes premières lectures de SF américaine. Titre provisoire : Escale aux étoiles. Ce roman, envoyé à plusieurs éditeurs, lu vers cette époque par Pierre Versins, allait devenir Aux étoiles du destin, titre choisi par Michel Pilotin qui le publia en 1960 en "Rayon fantastique". Un peu plus tard, j'ai écrit la Machine du pouvoir (publié aussi en 1960) et un autre roman jamais achevé.
Mes parents, malades ou usés, avaient dû quitter la métairie. Il y avait eu un drame terrible le jour où une vache que nous aimions tous beaucoup était partie pour la boucherie. L'argent manquait à la maison. Pas question de continuer les études. J'ai pris le premier travail qui s'est présenté dans les environs : auxiliaire à la perception d'Eymet. De toute façon, je voulais être écrivain ; le choix d'un second métier me semblait… secondaire. J'avais à peu près à cette époque commencé à écrire de la littérature générale. Dès que Françoise Sagan eut publié son premier livre, elle remplaça dans mes admirations littéraires l'auteur de SF américain Edmond Hamilton !
Je suis parti au service militaire en Allemagne. C'était une période de paix, entre Điện Biên Phủ et la Toussaint sanglante en Algérie ; de plus, je commençais à avoir des ennuis de santé, surtout respiratoires. Ce qui me valut d'être réformé après un mois dans un centre d'instruction disciplinaire, à Trêves.
Je revins à la perception, tout en écrivant un roman de littérature générale, qui attira l'attention de René Julliard mais ne fut pas publié. Instituteur dans une école du Lot et Garonne, aussi déshéritée que celle de mon enfance, j'écrivis un autre roman que Julliard publia l'année suivante : le Diable souriant. À cette époque, je ne m'intéressais plus guère à la Science-Fiction. Ma carrière d'instituteur se termine avec une grave dépression qui me laisse des séquelles auditives irréversibles. Quand Gallimard se décide à publier mes vieux romans de SF, je suis à peine remis. Mon directeur de collection, Michel Pilotin, égare le manuscrit suivant (j'ai moi-même perdu le double en déménageant ; il ne me reste que le titre, utilisé récemment pour une histoire complètement différente : les Écumeurs du silence). Le manuscrit suivant, en littérature générale, est refusé. Ma santé ne s'améliore guère. J'ai perdu le moral et le goût d'écrire. Je fais divers métiers : le principal étant celui de visiteur médical. Je suis représentant, comptable, agent technique commercial (en machines comptables). Quelques semaines, je deviens précepteur des enfants de Joséphine Baker (les « enfants du monde ») aux Milandes…
Progressivement, l'envie d'écrire me revient. Mais j'ai perdu la main. Le temps et la concentration me manquent. Vers 1967, je cesse toute activité régulière. J'aide mon père aux travaux de gardiennage qu'il ne peut plus assurer ; je fais des journées à la campagne et je donne quelques leçons à des enfants du voisinage (surtout de maths). J'entreprends de me recentrer et de réapprendre à écrire, ce qui sera beaucoup plus long que je ne l'avais prévu. Je noircis quelques milliers de pages.
En cours de route, je redécouvre la Science-Fiction, avec le premier volume de la collection "Ailleurs et demain" qui vient de naître. Le premier et les suivants… Je relis également de vieux numéros de Fiction. Le roman commencé vers 1970 devient en cours de route aussi un récit de Science-Fiction. Je pense bien sûr à la collection "Ailleurs et demain". Jusqu'au dernier moment, je ne trouve pas de titre pour ce livre. Finalement, j'opte, un peu en désespoir de cause, pour le Temps incertain (car il est beaucoup question de ça dans mon histoire…)
J'envoie le manuscrit à Gérard Klein, chez Robert Laffont. La réponse tarde un peu. Je la trouve un soir, vers le 25 octobre 1972, en revenant de vendanger. « Cher Monsieur, » dit cette lettre, « je suis rentré de mon voyage… chronolytique. J'ai lu votre livre. Je l'ai trouvé excellent. Peut-être même un peu plus. À certains égards, je voudrais bien l'avoir fait. Il va donc de soi que je souhaite l'accueillir dans ma collection. »
Pour moi, il était… temps. Ma situation matérielle était mauvaise. Peut-être même un peu plus. Donc, c'était parti… mais pas arrivé.
Le deuxième départ m'a été donné par Daniel Walther qui m'écrivit après la sortie du Temps incertain pour me demander une nouvelle destinée à l'anthologie qui allait devenir les Soleils noirs d’Arcadie : "les Transpondus". Comme je n'avais plus d'activité professionnelle autre que les “journées”, les leçons et autres petits travaux, je n'ai pas eu à décider de devenir auteur à plein-temps. Cela s'est fait tout seul, en deux ans environ. Tragique symbole : mon dernier élève, un garçon handicapé à qui j'étais très attaché, est mort en 1974, pendant que j'étais à la convention de Grenoble.
En 1975, j'ai épousé Nicole. Danièle est née en 1976.
Post-scriptum de 2008
Vingt-cinq après, comme dirait Alexandre Dumas.
Nous vivons depuis 1987 dans les Cévennes, qui m’ont inspiré en 2005 et 2006 deux contes de Science-Fiction : "la Cévenne des tempêtes" et "le Bonheur en Cévennes en 2155"… Les gens heureux ont quelquefois des histoires.
Notre fille, Dany, vit en Drôme provençale. Nous avons écrit ensemble quelques récits jeunesse. Elle a un petit garçon de trois ans, Swann, qui nous aide à rattraper le temps perdu.
Quant à moi, ma biographie se confond toujours plus avec ma biblio. Ils furent heureux et ils eurent beaucoup de livres. Enfin pas mal… Les rééditions, qu’est-ce au juste pour le vieil auteur qui voit le bout du tunnel ? La vie après la vie ?
Bonne chance à tous.