Keep Watching the Skies! nº 15, octobre 1995
William Gibson : Lumière virtuelle
(Virtual light)
roman de Science-Fiction ~ chroniqué par Pascal J. Thomas
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Il y a quelque chose du Philip K. Dick du Maître du haut château dans ce livre — à ceci près qu'ici, il n'est plus question d'univers parallèle, mais d'extrapolation à l'orée du présent. Yamazaki est un étudiant japonais venu faire une thèse sur ce qui est pour lui le plus beau des thomasson — les Japonais ont fait de ce nom propre, celui d'un joueur de baseball américain venu prendre une retraite dorée sur l'archipel aux frais des fans nippons, un nom commun désignant un objet dont l'inutilité le fait accéder au rang des œuvres d'art. Pour le Japonais moyen, l'Amérique entière est un thomasson ; Yamazaki focalise son intérêt sur le Bay Bridge [1] de San Francisco, désaffecté après une secousse sismique, et occupé par une accrétion de SDF et autres réfractaires. Yamazaki s'attache à un vieil homme, Skinner, dont le refuge s'accroche en haut d'un des pylônes (on reconnaît le personnage et le cadre de la nouvelle "Skinner's Room").
Mais ni Skinner ni Yamazaki ne prennent grande part à l'action. Ce rôle est réservé à celle qui partage temporairement le logement de Skinner, Chevette Washington, coursière cycliste. Chevette vole une paire de lunettes de soleil sur un coup de tête, et se rend compte trop tard que son larcin va avoir des conséquences incalculables…
La déliquance est un point de contact tangentiel, parfois fortuit comme ici, entre le monde des très riches et celui des pauvres, voleurs à la tire ou hommes de main. Chevette, aussi bien que Berry Rydell, le flic qui se retrouve employé d'un sous-traitant d'une compagnie de vigiles sans trop savoir pourquoi, font partie de la deuxième catégorie. Involontairement. Vous ne serez pas surpris de les voir se rencontrer…
Plus j'avançais dans ce livre, plus se confortait mon impression de lire un film de Tarantino. L'intrigue — un personnage finalement sympathique chaparde un objet de grande valeur, et s'attire ainsi la vindicte d'une organisation puissante, assistée de tueurs d'une cruauté sans limite. Le cadre — une Californie éclaboussée de soleil, haute en couleurs, regorgeant de personnages baroques de toutes origines. Le rythme — marqué par des poursuites en voiture, quelques scènes d'une grande violence, et la certitude haletante que les protagonistes peuvent fuir, mais jamais se cacher de ceux qui leur en veulent.
Le tout est admirablement servi par l'écriture très visuelle de l'auteur. On ne s'ennuie pas une minute.
Quant à l'univers virtuel des réseaux informatiques, Gibson a l'habileté d'en parler dès les premières pages (une fois passée la séquence pré-générique qui s'affuble du nom de Chapitre 1), et de la ramener en scène en fin de parcours, quasiment comme deus ex machina.
On pouvait pourtant, je crois, espérer mieux de l'évolution d'un auteur qui avait su se montrer aussi génial que Gibson. Hélas, il restera pour moi un écrivain à l'écriture magnifique (encore sensible ici derrière une traduction qui, quoique compétente, massacre un idiomatisme sur deux) qui a su — par hasard ? — mettre le doigt sur l'esprit du temps à un moment crucial, et se trouve depuis condamné à servir des livres très bien faits, mais n'arrivant jamais à la cheville conceptuelle de Neuromancien.
Notes
[1] Et non le Golden Gate Bridge dessiné en couverture de l'édition J'ai lu par Hubert de Lartigue…