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Keep Watching the Skies! nº 21-22, septembre 1996

Gilles Thomas [Julia Verlanger] : la Légende des niveaux fermés

roman de Science-Fiction ~ chroniqué par Jean-Louis Trudel

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C'est le roman qui m'a fait comprendre pourquoi la génération qui m'a précédé a tellement apprécié les œuvres de son auteure. La Croix des Décastés m'avait déjà laissé sous le charme de l'écriture de Gilles Thomas et de certains de ses retournements de situation, et La Légende des niveaux fermés confirme cette impression. Ce sont les retournements de situation qui ont dû faire l'attrait de Gilles Thomas à l'époque et c'est sans doute parce que de tels retournements sont devenus monnaie courante — pour ne pas dire des clichés… — dans la SF d'aujourd'hui que l'intérêt de ses œuvres ne m'est pas toujours apparu. Ces retournements injectent un peu de mordant dans ce qui ne serait guère qu'une aventure bien menée autrement, mais sans grande originalité (voir le cycle de Yorg pour constater ce que donne la SF au premier degré).

Dans ma critique du cycle de Yorg, j'ai avancé une tentative de différenciation entre Alain le Bussy et des auteurs comme Laurent Genefort ou Jean-Marc Ligny. En y repensant, je désire proposer un autre point de vue, celui de la distinction entre connaissance et (re) connaissance. Ce qui ferait l'intérêt science-fictif d'œuvres comme celles de Genefort, Canal ou Ligny (pour ne citer que des Français), c'est qu'elles véhiculent, parfois de façon sous-jacente, une nouvelle façon de connaître le monde ou de le comprendre. Science, savoir, sagesse… C'est la force de la science-fiction de jouer sur les franges où ces trois domaines se côtoient et se recoupent. Par contre, l'intérêt des fictions de Thomas et le Bussy, c'est peut-être bien la reconnaissance.

Ainsi, c'est sur la reconnaissance et la familiarité que joue le film Independence Day, dénué de toute originalité, mais qui recycle avec un instinct très sûr les lieux communs de plusieurs sous-genres de la SF. Le même plaisir de reconnaissance est sûrement pour beaucoup dans le succès de certains épisodes de Star trek ou Babylon 5 — pas particulièrement novateurs ou originaux, au contraire, ces épisodes adaptent ou reprennent avec bonheur des schémas classiques que les téléspectateurs reconnaîtront avec plaisir quand c'est bien fait. (Prenez la scène dans Babylon 5 où Kosh sauve le commandant qui a sauté d'un monorail en marche dans l'axe d'un monde creux et cylindrique ; c'est la combinaison des éléments qui est novatrice, et non les éléments eux-mêmes — que l'on songe à Rama… — mais on peut éprouver un frisson de véritable jouissance en admirant le brio avec lequel les auteurs ont agencé les éléments à leur disposition, éléments empruntés pour la plupart aux vieux stocks de la SF.)

En lisant le Bussy, le lecteur éprouve le plaisir de reconnaître les modèles dont s'est inspiré l'auteur et, même s'il est trop jeune pour connaître les œuvres originales, les schèmes de fonctionnement qu'il nous propose, dans le genre Mad Max, Waterworld, les Mongols de Temujin, les invasions gothiques, etc. Je me demande parfois si le cycle de Yorg ne fascine pas certains nouveaux venus à la SF parce que les modèles — Daybreak 2250 AD, the Long Tomorrow, etc. — sont si vieux que même les parents des lecteurs d'aujourd'hui ne les auront pas lus comme des ouvrages nouveaux !

De même, dans ce roman de Gilles Thomas, on reconnaît dès la première mention de l'Arli qu'il s'agit d'une contraction de "l'Air libre" et que nos héros nés aux alentours du 600e Niveau vont probablement monter jusqu'à la surface. Cela reconnu, on ne s'attache pas moins aux personnages (encore qu'on a peut-être envie de sauter les dernières pages). Notons que La mort en billes comportait le même genre de surprise éventée et que c'était suprêmement agaçant parce que le maintien du suspense dépendait entièrement de la stupidité des personnages ; ici, les personnages n'ont aucune raison de soupçonner que l'obscure légende de l'Arli corresponde à une réalité quelconque et leur surprise en découvrant la surface de la planète n'est entachée d'aucun arrière-goût.

Ceci dit, le roman de Thomas s'inscrivait peut-être à l'origine dans une logique de connaissance aussi bien que de reconnaissance. En 1978, date de la parution originale, il faut croire qu'il demeurait audacieux de s'en prendre directement à la “patriarchie” et c'est pourquoi l'invention par Gilles/Julia d'une Matriarchie opprimant les hommes dans une société close où on ne peut s'élever jusqu'à la véritable égalité — système évoquant sans ambages, quoique non sans exagération, la “patriarchie” — ajoute un peu de mordant à ce qui ne serait autrement qu'une histoire d'évasion. (De nos jours, ce serait plus révolutionnaire, du moins dans certains pays, de prendre comme un avertissement sérieux cette idée de “matriarchie”.)

Toutefois, comme histoire d'évasion, le roman est réussi : amitié entre un jardinier exploité et un exclu du système, naissance d'un complot, formation d'une petite bande hétéroclite avec l'addition d'un chanteur à succès et… d'une femme, début d'une ascension éprouvante, capture d'une agente de la Matriarchie, fuite jusqu'aux Niveaux fermés… Tout y est. Certes, ce ne serait pas politiquement correct aujourd'hui de montrer une femme violée finissant par s'attacher à son violeur, mais c'est un dénouement qui s'inscrirait dans un certain discours féministe minoritaire prêchant la puissance véritable de la femme qui n'est pas définie/déterminée par un seul acte et qui conserve son libre-arbitre malgré tout.

Bref, la fin est annoncée dès le début, mais le roman se laisse lire d'une traite, sans lésiner sur les rebondissements.

Hop, une étoile orange, presque aussi brillante que notre Soleil.