Keep Watching the Skies! nº 43, juin 2002
Nancy Kress : les Hommes dénaturés
(Maximum light)
roman de Science-Fiction ~ chroniqué par Sandrine Grenier
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Nous sommes en 2034. La chute de la natalité, phénomène connu depuis la fin du XXe siècle, a pris des proportions mondiales dramatiques. Elle est due à une baisse de fertilité généralisée : peu importe que l'on soit homme ou femme, peu importe la couleur de peau ou le lieu de naissance. À tel point que certaines personnes, désespérées, en viennent à choisir leurs animaux de compagnie comme substituts aux bébés. Ce qu'il reste de jeunesse est considéré comme richesse nationale, un patrimoine précieux dont il convient de prendre le plus grand soin. Des voix, de plus en plus insistantes, s'élèvent pour dénoncer la pollution chimique qui n'épargne plus aucun pays. Mais les gouvernements sont réfractaires à cette explication, car trop d'intérêts économiques sont en jeux. Les recherches scientifiques officielles en sont au point mort, manquant cruellement de moyens. Moyens financiers, mais également moyens légaux : les lois sur l'étude du génome humain et les manipulations génétiques sont tellement sévères que les scientifiques sont paralysés. Bien entendu, cette situation ouvre les portes à toutes les déviations et les tous trafics possibles.
Shana Walders, jeune adulte de dix-neuf printemps qui accomplit son service national dans l'armée américaine, ne rêve que d'une chose : devenir soldate de métier. Après un an de service, son rêve tient toujours, même si son dossier est plutôt chargé. Têtue comme une bourrique, la jeune fille est dotée d'un caractère de cochon qui lui vaut plusieurs avertissements : non-respect du couvre-feu, désobéissance à un supérieur, bagarres… En temps normal, cela n'aurait quand même pas posé de problème pour son incorporation dans l'armée régulière. Mais, au cours de l'évacuation d'un quartier de Washington D. C. rendue nécessaire par le déraillement d'un train chargé de produits toxiques, Shana est témoin d'une scène qui va changer le cours de sa vie. Ce qu'elle voit n'est pas censé exister. Pire : le gouvernement ne peut se permettre d'accepter la véracité de son témoignage. La commission devant laquelle elle dépose se sert de son dossier pour la décrédibiliser. Peu de temps après, Shana se voit refuser son incorporation. Les caractères de cochon font parfois merveille. La jeune femme, aidée par quelques amis rencontrés au cours de ses aventures, et malgré des motivations purement égocentriques, fera tout pour qu'éclate la vérité.
Nancy Kress est, à ma connaissance, une des rares autrices à se préoccuper des effets du développement technologique et scientifique sur le devenir de l'humanité. La science évolue plus vite que les humains : quel effet cela va-t-il avoir sur notre comportement, notre appréhension du monde ? Quelles seront nos réactions face à ces progrès, allons-nous réussir à les intégrer harmonieusement à nos vies, ou bien va-t-on s'en servir pour inventer encore plus de déviances, encore plus de laideur ? Que se passera-t-il si nous fermons les yeux face à une machine qui devient folle ?
Tels sont les thèmes le plus souvent traités par Nancy Kress. Et le résultat de ses romans fait froid dans le dos. C'est le cas pour les Hommes dénaturés. Malgré tout, un certain optimisme se dégage de la fin, car la réflexion et l'humanité prennent le pas sur la machine folle. La morale est sauve. Non pas la Morale avec un grand M, mais une morale intime, personnelle, acquise grâce au cheminement intérieur. Arrivés face au choix, les personnages de ce roman, suivant leurs convictions, font ce qu'ils ont à faire, malgré les conséquences, qu'ils y perdent ou qu'ils y gagnent. Ce ne sont pas des héros, juste des personnes. En ce sens, l'évolution du personnage de Shana Walders est significative. Un roman qui se lit d'une traite, et qui porte à la réflexion.
Notes
››› Voir autre chronique du même livre dans KWS 43.
