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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 52 Quicksilver

Keep Watching the Skies! nº 52, novembre 2005

Neal Stephenson : Quicksilver (the Baroque cycle – 1)

roman historique inédit en français

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chronique par Pascal J. Thomas

Nous sommes vers 1660 en Angleterre. Isaac Newton n'est encore qu'un tout jeune homme, mais déjà il étonne par son génie — tandis qu'au milieu d'une période troublée (révolution, régime de Cromwell, restauration, grande peste de 1665…) une poignée d'hommes qui auraient pu être alchimistes, comme tant d'autres avant eux, fondent la Royal Society pour étudier la “philosophie naturelle”.

Le roman reste en marge des grands événements scientifiques et politiques du siècle, attaché aux destins de trois personnages fictifs, Daniel Waterhouse, Jack Shaftoe, et Eliza. Un savant (ou quelqu'un qui tente de l'être, incapable qu'il est de rivaliser avec des contemporains comme Newton ou même Robert Hooke), un soldat de fortune, et une femme fascinante et pleine de ressources. Leurs aventures dépassent souvent l'imagination (en particulier en ce qui concerne Jack, dit l'Emmerdeur — en français dans le texte), et me font penser à de l'Alexandre Dumas au cube, avec encore beaucoup plus de sang et de sexe. Stephenson nous plonge dans les conditions sanitaires de l'époque : syphilis, opération de la vessie pour les calculs urinaires, accouchements, peste bubonique, rien ne nous est épargné. Si aucune invention imaginaire ne vient troubler ce xviie siècle, l'attention qui est porté aux conditions physiques de la vie de l'époque relève de l'esprit de la S.-F. Mais l'humour de Stephenson fait passer bien des choses, et j'ai lu le roman sans pouvoir m'en détacher, en regrettant toutefois que les passages picaresques, de Vienne à Versailles en passant par La Haye et le Saint Empire, l'emportent en importance sur ceux qui touchent à la vie intellectuelle et surtout scientifique (même si le terme n'était pas encore utilisé) de l'époque. Nous n'avons, dans ce volume, que de brefs aperçus de la grande controverse entre Newton et Leibniz sur l'invention du calcul différentiel, par exemple.

Mais n'oublions pas que ce livre n'est que le premier volume du Cycle baroque, une trilogie qui se poursuit avec the Confusion et the System of the world (cette expression étant celle que Newton utilise pour désigner l'objectif de ses recherches). On aura le temps plus tard, peut-être, de parler de science tranquillement.

En attendant, les amateurs de Stephenson noteront que ce cycle est une pré-suite à Cryptonomicon (l'écriture d'un livre de ce titre est d'ailleurs attribuée à un des personnages — historiques ! — du roman). Sont mis en scènes les ancêtres des dynasties présentes dans Cryptonomicon : les savants Waterhouse et les soldats Shaftoe. Et Eliza est une Qwghlmienne — l'intervention répétée dans l'intrigue de ce pays imaginaire suffit-il à faire basculer ce livre dans l'histoire secrète ? Ici, comme dans le livre situé à notre époque, une scène frappante est celle de la fusion d'une grande réserve d'or souterraine. Je trouvais la scène superflue et exagérément théâtrale dans Cryptonomicon, elle prend ici sa place naturelle dans une métaphore de l'économie de marché. L'or, la monnaie, devient liquide et irrigue l'économie avec une rapidité jusque-là inconnue. Stephenson est fasciné par les innovations de la finance de l'époque : invention de l'idée moderne de banque, d'assurance, de marché des actions (avec déjà des produits dérivés — on en revient au calcul différentiel). Le vif-argent du titre, ce n'est pas seulement le métal qui fascine les alchimistes et remplit les thermomètres, c'est ce marché qui devient puissance et objet d'étude scientifique en lui-même.

Naturellement, la vision est anachronique — elle profite de l'avantage que nous fournit notre recul historique. De même quand Stephenson, toujours fasciné par la cryptographie, fait pressentir l'informatique par Leibniz au détour de discussions sur le codage et l'arithmétique binaire. Ça fait partie du plaisir de le lire. De même que la grande variété de formes qu'il utilise dans sa narration, du récit épistolaire à la parodie de théâtre de l'époque. Bref, neuf cents pages, ce n'est pas assez, et il faut que je me procure les deux autres volumes toutes affaires cessantes. Sans compter quelques kilos d'ouvrages documentaires sur l'époque…