Keep Watching the Skies! nº 53, mai 2006
Thomas Day : la Voie du sabre ~ l'Homme qui voulait tuer l'empereur (la Voie du sabre – 2)
romans de Fantasy, dont le premier est par nouvelles
→ détail bibliographique dans la base de données exliibris
J'aime bien prendre le train. Si l'on n'est pas accompagné, et abstraction faite des sonneries de téléphones portables récurrentes, c'est le lieu idéal pour rattraper des retards de lecture qui ont parfois tendance à devenir chroniques. Mon dernier voyage en TGV m'a ainsi permis de dévorer toute une pile de "Folio SF" qui attendait patiemment son heure sur le coin d'une étagère, en commençant par le plus ancien du lot, la Voie du sabre, et sa suite, l'Homme qui voulait tuer l'Empereur.
Étant donné sa bibliographie bien fournie, il n'est certes plus nécessaire de présenter Thomas Day. Auteur de nombreuses nouvelles et d'une demi-douzaine de romans (sans compter ces Voie du Sabre), il est bien connu pour son style rugueux et ses récits où sexe et violence se taillent souvent la part du lion. Avec un bonheur inégal, il a déjà fréquenté les terres de la S.-F., du Fantastique, du Polar, de la novélisation et de la Fantasy. Il revient dans cette dernière contrée avec les deux courts romans réunis par "Folio SF" sous le titre générique de la Voie du sabre.
Même si ces deux livres peuvent, sans aucun problème, se lire indépendamment l'un de l'autre, j'aurais tendance à conseiller la lecture de la Voie du Sabre en premier. En effet, ce roman met en place le décor d'un Japon médiéval revisité et réinventé par Thomas Day. Dans les trois cents pages de cette première aventure, l'auteur nous invite ainsi à suivre l'initiation du jeune Nakamura Mikédi. Fils d'un noble seigneur, il va, des années durant, suivre l'enseignement d'un bien étrange maître qui doit le guider sur la Voie du Sabre.
Situé à l'époque lointaine des premiers shôgunat Tokugawa, au xvie siècle, et utilisant le personnage historique du rônin Miyamoto Musachi1, le livre de Thomas Day pourrait n'être qu'un récit d'aventure à caractère historique. Cependant, le Japon décrit par Day appartient totalement à cette catégorie dite médiévale-fantastique qui fait le bonheur des concepteurs de jeux vidéo. La trilogie vidéo-ludique Onimusha de Capcom offre ainsi aux joueurs l'occasion d'incarner un preux samouraï dans un Japon envahi par les armées démoniaques de Nobunaga Oda. En la matière, le Japon de Fantasy de Thomas Day rivalise sans peine avec ces jeux vidéo et il semble tout naturel d'y croiser des lézards géants, des sorciers ou des démons.
Pourtant, même si la Voie du Sabre est bel et bien un roman2 de Fantasy, il reste avant tout, comme l'expliquait fort bien Noé Gaillard dans KWS nº 46, un roman d'apprentissage dont le narrateur n'est autre que le jeune Mikédi. Celui-ci décrit par le menu la lente initiation aux secrets de la vie que lui impose Miyamoto Musachi afin de découvrir quelle sera sa Voie en tant qu'homme. Pendant que son maître mène en parallèle une quête personnelle pour retrouver la partie manquante de son daïsho3 Papillon, Mikédi passe ainsi deux années au Palais des Saveurs où on lui enseigne tous les secrets de l'art culinaire, après lui avoir appris à faire le ménage et à s'occuper du jardin. Deux autres années lui permettent ensuite de pénétrer les mystères de l'amour en faisant l'ascension des différents niveaux de la Pagode des Plaisirs. Et ce n'est qu'en accompagnant son maître qu'il découvre enfin le maniement du sabre et l'art de la guerre. Au fil des ans, le frêle enfant est devenu un puissant guerrier, mais il n'est pas certain qu'il ait compris le message que son maître voulait faire passer à travers son enseignement et le dénouement du roman de la Voie du sabre ne peut donc être que tragique.
Pour donner à son roman un goût nippon prononcé, Thomas Day s'est très sérieusement documenté, comme en témoigne la bonne dizaine de pages de lexique, bibliographie et filmographie présente à la fin de La Voie du Sabre. Mais cela ne l'empêche nullement de parsemer son texte d'intentionnels anachronismes et de clins d'œil. Il y a également quelques références, volontaires ou non, à d'autres œuvres littéraires. Ainsi, l'Encre de Shô qui donne son immortalité aux membres de la famille impériale en les transformant en dragon fait forcément penser à l'Épice collectée dans les mers de sable de Dune, le chef-d'œuvre incontournable de Frank Herbert. Quant à l'utilisation très particulière que la fille de l'Empereur-Dragon voudrait faire de Mikédi, elle n'est pas sans me rappeler l'un des Contes de la folie ordinaire de Charles Bukowski. Enfin, Cervantès est lui aussi de la partie, mais uniquement à travers ses deux personnages, « un guerrier au physique de saucisse sèche et son chroniqueur », que Nakamura Mikédi croise lors de son voyage en Europe.
C'est finalement avec un certain regret que l'on quitte l'univers si particulier de la Voie du sabre et c'est donc avec un bonheur certain que l'on y revient avec l'Homme qui voulait tuer l'Empereur, sous-titré la Voie du sabre II.
Ce second roman se situe géographiquement dans le même Japon de Fantasy que la Voie du sabre, mais les évènements qu'il décrit se déroulent quarante ans après l'aventure vécue par Nakamura Oni Mikédi. L'homme qui voulait tuer l'Empereur du titre s'appelle Ichimonji Daigoro. C'est un homme d'honneur et un puissant seigneur. Il commet cependant l'erreur fatale de désobéir à l'Empereur-Dragon en refusant de lui offrir la merveilleuse concubine qui illumine ses nuits, Shirôzaemon Reiko. Cette décision se révèle catastrophique car l'Empereur-Dragon envoie deux de ses puissantes armées pour soumettre ce fol impudent et ramener, de gré ou de force, la belle Reiko au palais impérial. Dans l'affrontement qui s'en suit, Daigoro perd tout. Son épouse et ses enfants sont les premiers à tomber sous les lames des samouraïs de l'Empereur-Dragon. Ses soldats et ses sujets se font massacrer par des troupes plus nombreuses, à l'issue d'un siège long et dévastateur.
Ayant miraculeusement survécu au massacre, Daigoro découvre alors que celle pour qui il a pris tous ces risques a été mortellement blessée et a offert son corps à un démon du feu. Faisant un marché de dupes avec cette créature démoniaque, Daigoro se lance dans alors une insatiable quête de vengeance. Désormais, il n'a plus qu'un unique but, venger la mort de Reiko en tuant l'Empereur.
Même si Thomas Day maîtrise pleinement l'univers médiéval et fantastique de son Japon imaginaire, l'Homme qui voulait tuer l'Empereur m'a paru sensiblement moins convaincant que la Voie du sabre. Ce n'est pas que la vengeance soit en elle-même une quête moins palpitante que la recherche de la connaissance et du savoir, surtout avec un professeur tel que Miyamoto Musachi, mais ce second roman manque d'un certain souffle épique alors que tout semble réuni pour cela. On croise ainsi, tout au long de cette Voie du Sabre II, des personnages forts et intéressants, à l'image bien évidemment de Daigoro et de ceux qui croisent sa route, à commencer par Bertrand Merteuil de Courcelles, chevalier français égaré sur les îles du Soleil levant. Ces derniers affrontent des adversaires monstrueux et démoniaques tels que les gardiens des enfers ou même l'Empereur-Dragon, dans des duels qui pourraient être titanesques. Pourtant, ces combats, tout comme le cheminement vengeur du héros, semblent être tronqués, raccourcis, abrégés, comme si le narrateur était pressé d'en finir. On dirait que l'Homme qui voulait tuer l'Empereur souffre de son statut intermédiaire de court roman. Il aurait peut-être apprécié quelques pages supplémentaires pour devenir une véritable épopée chevaleresque, à moins que quelques pages en moins, lui redonnant sa taille initiale de novella4, ne lui conviennent mieux.
Quoi qu'il en soit le Japon de Nakamura Oni Mikédi ou d'Ichimonji Daigoro reste une terre agréable à visiter et si Thomas Day veut nous y entraîner une nouvelle fois, je serais certainement parmi les premiers à l'y suivre.
→ lire par ailleurs dans KWS [1] [2]
Notes
- Rendu célèbre par les romans de Yoshikawa Eiji (la Pierre et le sabre et la Parfaite lumière), le personnage de Miyamoto Musachi (1584-1645) a également inspiré le mangaka Inoue Takehiko. Depuis 1999, ce dernier livre ainsi, dans le manga Vagabond, sa version des aventures du célèbre rônin, saga qui compte déjà vingt et un volumes.↑
- Avant cette parution, ce fut une novella publiée dans l'anthologie de Fantasy Fées & gestes, sous la direction d'André François Ruaud en 1998.↑
- Le daïsho est l'ensemble des deux sabres que porte avec honneur et fierté le samouraï : un long, le katana, et un court, le wakisachi.↑
- En effet, une première version de "l'Homme qui voulait tuer l'Empereur" a paru en 2003 dans Bifrost nº 32.↑