Sauter la navigation

 
Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 55 100 mots pour voyager en Science-Fiction

Keep Watching the Skies! nº 55, novembre 2006

François Rouiller : 100 mots pour voyager en Science-Fiction

rédactionnel

 chercher ce livre sur amazon.fr

chronique par Pascal J. Thomas

Il y a trop déjà de dictionnaires de la S.-F. pour qu'on puisse, de nos jours, se permettre d'en commettre un de plus qui se conforme aux usages. Qui nous guide à nouveau parmi les monuments cent fois photographiés, parmi les vitrines poussiéreuses du même musée. François Rouiller réussit le pari d'un point de vue résolument rafraîchissant ; sans négliger, à la rubrique Guides, justement, de nous renvoyer à ses prédécesseurs par le biais d'une bibliographie commentée.

Qu'est-ce qui fonde donc l'originalité de l'essai-mosaïque de Rouiller ? Pas le fait qu'il se compose d'une centaine d'articles comptant chacun une poignée de pages, certes. L'énoncé des titres des articles ouvre déjà des fenêtres inédites sur le genre : au petit bonheur de l'alphabet, on relève attente, blanc, concentré, conserves, déni, fidélité, fin, gnose, invisible, loi, maison, pire, presse-citron, prothèse, rumeur, témoin, trop, et pour conclure, un résonnant zut. Il arrive souvent que ces étiquettes pimpantes recouvrent une brève critique d'un livre, d'un film ou d'une BD particuliers. Ainsi découvrira-t-on sous la rubrique allégorie un petit article (élogieux et intéressant) sur le roman Transparences d'Ayerdhal. A contrario, la tête de chapitre concentré dissimule une brève Histoire de la S.-F., et frontières vise à une définition de la S.-F. par opposition à des genres proches qui s'en distinguent chacun par certains traits caractéristiques.

Autre particularité assumée de ce guide : Rouiller est connu pour ses dessins (compositions humoristiques à la plume, bien souvent ; on regrettera que la couverture qu'il a donnée à ce livre ne soit pas à la hauteur de son excellent travail dans le domaine, et que l'intérieur du livre n'offre aucune illustration). Les exemples qui illustrent son propos sont souvent choisis bien au-delà de l'écrit, dans les films certes, mais aussi beaucoup dans les BD et dans l'art plastique contemporain. À l'article amnésie, nous lisons ainsi le compte rendu d'une facétieuse exposition (montrée en 2002 au Musée Romain de Lausanne), qui prit des objets de notre vie quotidienne et en inventa une interprétation hautement fantaisiste due aux archéologues des millénaires à venir. Inutile de vous dire que si je n'avais pas lu cela dans le livre de Rouiller, j'en serai resté toute ma vie ignorant.

Comment naviguer dans un livre pareil, me direz-vous. Le choix imbécile est toujours possible, et je l'ai personnellement pratiqué : lire tout le bouquin de la page 1 à la page 505, en s'en délectant, et en se laissant entraîner dans des considérations tantôt éminemment raisonnables, tantôt animées d'une étincelle d'ironie, tantôt portant sur des thèmes ou des œuvres délibérément choisies en dépit de leur obscurité. Dois-je vraiment me passionner pour la passion que semblent, chez certains, susciter les robots en fer-blanc ? Le doute me taraude.

On peut aussi utiliser l'index donné en fin de volume (qui recense titres et personnes citées). Ou suivre les liens entre les rubriques qui sont donnés à la fin de chacune, opérant ainsi un voyage différent du tout au tout au sein des pages du volume. De toute façon, comme à chaque fois que l'imprévu est de la partie, il est payant de s'égarer un peu, d'errer dans les chapitres en quête de surprise. Le style toujours soigné de Rouiller, aux antipodes de l'écriture utilitariste, y aide grandement — même si dans les moments de fatigue j'ai pu me dire qu'il s'écoutait écrire.

Au-delà de la diversité foisonnante des œuvres abordées, de la manière de traiter les articles ou de leurs longueurs, une constante informe le livre de Rouiller : sa préférence pour l'aspect imaginatif, libertaire de la S.-F., qu'il imagine mal contrainte par de quelconques règles de vraisemblance. Capable de s'exprimer via tous les media, l'imagination doit aborder toutes les idées.

Je ne sais pas si je mettrais ce livre entre les mains d'un candide, avide de se faire expliquer les faits de base sur la S.-F. Mais je le recommande à tous les amateurs blasés qui cherchent à étendre les limites de leur champ de lecture — ou de regard, plus généralement.