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Gérard Klein : préfaces et postfaces

Kurt Steiner : les Océans du ciel

Livre de poche nº 7148, avril 1992

L'espace interstellaire, ce n'est pas de la flotte. Et ça ne fait pas de vagues. Pourtant, un des aspects les plus populaires de la Science-Fiction est le space opera qui transforme les planètes en îles, [Couverture du volume]les étoiles en phares et les galaxies en archipels. Ajoutez-y des nefs chargées de trésors, des corsaires ou mieux des pirates, quelques princesses captives, des empires, des extra-terrestres convenablement monstrueux et aux noms chargés de consonnes, des armes aussi nickelées qu'inquiétantes, et vous aurez la recette d'un plat relevé qui ne convient peut-être pas aux palais les plus relevés mais qui, croyez-moi, tient à l'imagination.

J'ai, pour ma part, commencé à rêver aux grandes flottes de l'espace avec les Rois des étoiles d'Edmond Hamilton, un des premiers titres du "Rayon Fantastique" qui a de longtemps précédé la présente collection chez Hachette. C'était en un temps où les pages nous tenaient lieu d'écrans et les mots de truquages. Je ne suis pas sûr que nous ayons gagné au change avec les effets spéciaux de la Guerre des étoiles. En quelque sorte, l'image, aussi habilement trafiquée qu'elle soit, a fait basculer vers le passé ce qui, en toutes lettres, appartenait, que dis-je, appartient à un avenir mythique. Croyez-moi, une étoile, ce n'est pas rien, quand cela se trouve un nom, devient un but, un cap, un continent. Ni une constellation, j'en prends à témoin la reine de Fomalhaut.

Que l'un des meilleurs auteurs français de space opera soit d'origine bretonne n'aura rien pour surprendre. L'œuvre d'André Ruellan, alias Kurt Wargar, ou encore dit Kurt Steiner comme au frontispice de la présente œuvre, est divisée en deux pans, le versant fantastique où flotte l'ombre de l'Ankou et le versant futuriste où d'aristocrates malandrins errent sur les océans du ciel.

André Ruellan est né en 1922, dans la région parisienne, à Bécon-les-Bruyères. Son père, soudeur chez Delage, était un grand amateur de livres. La maison en était pleine, jusqu'à la cave. Comme le note notre auteur, son père « avait surtout soif de connaissances. C'est pourquoi il possédait aussi un magnifique microscope Nachet qu'il avait acquis au prix d'économies furieuses. J'en ai largement profité. J'étais une véritable éponge dans ce bain culturel, ce qui enchantait mon père. Il était anarcho-syndicaliste ; matérialiste en ce qui concernait Dieu, en revanche plutôt mystique à propos de la vie future. Comme beaucoup de socialistes vers la fin du siècle dernier, il avait été influencé par un courant spiritualiste venu des Indes. Vers douze ans, par exemple, il m'a fait lire les Maisons hantées de Camille Flammarion et je croyais aux fantômes dur comme fer. »

Par la suite, ce père idéal étant devenu chômeur en 1934, la famille connaît des difficultés financières énormes et prend l'habitude de déménager tout le temps. Mais cela n'empêche heureusement pas André Ruellan de poursuivre des études satisfaisantes et d'entrer à seize ans à l'École Normale d'Instituteurs de Versailles. Alors, déjà, il pense à écrire. À quatorze ans, il avait commencé un roman où il était question d'insectes géants !

Il traverse assez mal la guerre, requis quelque temps par le S.T.O. dans la région d'Arcachon et sauvé in extremis d'un départ pour l'Allemagne grâce à la complicité d'un lieutenant allemand qui lui donne un Ausweis. Quinze jours après le débarquement, il manque de peu d'être fusillé, comme otage. Cette proximité de la mort imprégnera toute son œuvre, lui donnera une dimension tantôt tragique comme dans les Ortog, tantôt humoristique mais du côté de l'humour noir, ainsi dans son fameux Manuel du savoir-mourir illustré par Roland Topor.

Ruellan redevenu instituteur n'en a pas fini avec la science. Car à partir de 1947, il parvient à commencer des études de médecine. En même temps, il écrit des poèmes, beaucoup de poèmes, qui constituent à ce jour encore la seule partie largement inédite de son œuvre. C'est après avoir achevé ses études de médecine qu'il découvre la Science-Fiction, au début des années cinquante en lisant d'abord les Humanoïdes de Jack Williamson. Mais, de son propre aveu, « ce qui m'a mis la main à la plume, c'est l'apparition de la collection "Angoisse" du Fleuve Noir, en 1954. J'ai aussitôt entrepris la rédaction d'une histoire d'épouvante, le Bruit du silence, qui a été immédiatement acceptée. » Et publiée sous le pseudonyme de Kurt Steiner.

Il avait en fait publié l'année précédente un bref roman de Science-Fiction, Alerte aux monstres, aux éditions de la Flamme d'or, sous le nom de Kurt Wargar.

Il devait par la suite publier au Fleuve Noir vingt-deux romans d'angoisse et, là ou ailleurs, une fois demain, une douzaine de romans d'anticipation.

Kurt Steiner, alias André Ruellan, occupe une place très singulière dans la Science-Fiction française. Par ses lectures, ses sources d'inspiration, ses éditeurs d'origine, il relève, et ne s'en défend pas, de la littérature populaire. Mais par sa culture, son sens de la poésie, son souci de l'écriture, son humour corrosif qui s'est longtemps déchaîné sous sa quatrième personnalité de Kurt Dupont, notamment dans Hara-Kiri, il est un écrivain exigeant, à l'occasion raffiné, comme en témoignent en particulier Tunnel (1), les Enfants de l'histoire (2), le Disque rayé, Mémo et les deux Ortog pour lesquels j'ai une tendresse particulière.

Le principal problème avec André Ruellan, c'est qu'il a été rattrapé par l'image, le cinéma et la télévision, et que son activité de scénariste ne lui a pas laissé beaucoup de temps pour écrire vraiment ces vingt dernières années.

Attendons avec confiance le siècle prochain.

La présente préface doit beaucoup, en ce qui concerne les détails biographiques, à un entretien demeuré à ce jour inédit entre Philippe Curval et André Ruellan. Que ces amis de toujours soient remerciés de m'avoir permis d'en faire usage.

Notes

(1) Le Livre de Poche.

(2) Le Livre de Poche.