KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Catherine Dufour : Outrage et rébellion

roman de Science-Fiction, 2009

chronique par Noé Gaillard, 2009

par ailleurs :

Je pense avoir déjà dit ici-même tout le bien que je pensais de cette auteur,(1) au moins à propos de son roman précédent, et la voilà qui m'oblige à réitérer des louanges qui peuvent sembler excessives. Un esprit chagrin et quelque peu jaloux pouvait encore attribuer les qualités du Goût de l'immortalité au hasard qui fait si bien les choses. Avec Outrage…, cela n'est plus possible : on sent le travail d'écrivain au même titre que l'on sent le travail du contorsionniste, sans que cela pèse sur le plaisir de lire et de voir. J'avoue, pour ma part, avoir éprouvé à cette lecture presque autant de plaisir qu'à celle de Flaubert, Céline ou Joyce…

Ne vous fiez pas à la quatrième de couverture qui n'ose pas et se contente d'oppositions faciles (« où l'attendent l'amour et la guerre ») et de citer les punks pour donner dans le sulfureux. Ne vous fiez pas à la couverture de Daylon qui retrouve le kitsch des années cinquante(2) et donne une impression de douceâtre bien éloignée de la violence verbale et rythmique du roman.

Imaginez un film constitué d'interviews de tous ceux qui ont participé de près ou de loin à une “révolution” musicale et qui, monté avec une rare finesse, formerait à partir de discours différents un récit complet et chronologique des événements : des témoignages divers qui ne feraient qu'un seul et unique récit. En trois épisodes : l'ascension, le succès, le déclin ou la chute plus une coda en codicille(3) qui annule beaucoup de ce qui précède… d'un groupe de musiciens aux chansons incitatrices à la violence et à la libération dirigé par un certain “Marquis”, qui mêle le traditionnel et l'original, et de ceux qui gravitent autour.

Nous partons de l'ennui et du désespoir pour finir dans le désespoir et l'ennui. Le pouvoir des riches est toujours aux mains des riches… Admettons, pour signaler un changement, qu'une poignée de pauvres soit devenue riche. On ne vous en dira pas plus sur le récit — ce serait trop facile et inutile, ce n'est pas là qu'est l'essentiel.

L'essentiel se trouve, à mes yeux, dans le ton et le rythme. Ce dernier est double. Un peu comme si d'un côté vous aviez une valse à trois temps classique et de l'autre une multitude de sous-rythmes (qui finiraient par prendre le pas) dans les différentes paroles.(4) Pour le ton, je ne vois que Céline et sa façon d'utiliser les mots grossiers comme aide à la dénonciation du monde. Qu'on ne se trompe pas, avec la “crudité” du langage et des situations, Catherine Dufour ne cherche pas spécifiquement ni à retomber au stade anal, ni à provoquer gratuitement le bourgeois (« Monsieur le commissaire… »). Elle décrit un monde et, par empathie avec ses habitants, laisse fuser une colère lourde, pleine et grossière, de celles qui, à défaut de changer le monde, soulagent.

Attention ! ne zappez pas le générique de fin : il a, au moins, le mérite de fournir quelques indications temporelles, difficiles à dénicher dans le corps du récit.

Attention ! il s'agit d'un roman interdit aux dépressifs.

Un conseil : lisez-le avant qu'une avalanche de prix ne vienne en faire le roman qu'il faut avoir lu.

Noé Gaillard → Keep Watching the Skies!, nº 62-63, juillet 2009


  1. Sans doute, mais où donc ? — Note de Quarante-Deux.
  2. Quand les moyens techniques permettaient de faire une belle quadrichromie et que l'on ne savait pas que Francis Bacon peignait d'après photo.
  3. Où l'on retrouve le titre du premier épisode agrémenté d'un point d'interrogation qui montre bien l'incapacité à aller au-delà de l'espoir d'un mieux ; on ne peut imaginer que son absence au début soit une erreur typographique.
  4. Je pense à une valse à mille temps, une valse slamée par plusieurs Grand Corps Malade, ou à "Comic strip" de Serge Gainsbourg.

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