KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Jean-Pierre Laigle : Ăvē Cæsăr Impĕrātŏr !

court roman de Science-Fiction, 2008

chronique par Pascal J. Thomas, 2009

par ailleurs :

C'est le premier ouvrage de la collection "Uchronie" qui est chroniqué dans KWS. Cette collection, qui existe depuis 2007, n'est pas issue d'un éditeur spécialement habitué à la SF, ni d'un grand éditeur français, mais de PyréMonde, une maison d'édition occitane(1) plus connue avant sous le nom de Princi Negre, puis Princi Negue, spécialisée au départ dans le domaine gascon (langue et région), qui a étendu ses activités à ce que les libraires appellent souvent “régionalisme”. On retrouve ici l'attrait de l'uchronie pour les perdants de l'Histoire. Dans les neuf ouvrages que je trouve dans cette collection au catalogue de l'éditeur (numérotés de 1 à 10, le 7 manquant), on trouve à côté de rééditions de classiques (l'essai/récit éponyme de Charles Renouvier, le Napoléon apocryphe de Louis Geoffroy-Château, l'Aviateur de Bonaparte de Jean d'Agraives), des rééditions de livres moins connus (d'autres uchronies napoléoniennes, et ce qui ressemble à une ou deux anticipations militaires à court terme de la Belle Époque qui auraient été dépassées depuis par les événements), et un seul inédit, le présent ouvrage.(2)

La quatrième de couverture nous renseigne d'emblée sur le point de divergence de l'uchronie (Artus, roi breton, bat les Saxons à la bataille de Camlann en 537) et sur son développement ultérieur : les rois bretons rebâtissent progressivement un Empire romain d'Occident purgé des défauts de son prédécesseur et permettent une accélération du progrès, comme dans le célèbre De peur que les Ténèbres… de Lyon Sprague de Camp (1941). Ce qui semble indiquer une volonté de l'éditeur autant que de l'auteur de prolonger le présent roman par toute une série.

Car le texte en question ne porte pour le moment que sur une période courte de l'Histoire divergente qui est son propos (le milieu du viie siècle, période cruciale parce qu'Artus VII y fait la conquête de Rome elle-même) et est assez bref, moins de cent vingt pages une fois retirés notes biohistoriques et avant-propos. Le corps du récit porte donc sur les quelques mois où Artus, entré dans la Ville éternelle, se pose le problème de remettre en place à son profit l'organisation du pouvoir impérial, avec pour outil majeur un triomphe en grande pompe, et les structures sociales qui permettront à un empire de fonctionner à nouveau. Tout cela avec l'aide de Sigismund, esclave romanisé (et cultivé) trouvé dans le palais qu'Artus décide d'occuper en s'installant en ville. S'il m'est permis d'exprimer un reproche bien mineur, je trouve que Laigle passe un peu vite sur les complexités de la situation de la Gaule des vie et viie siècles (qui n'était certes pas contrôlée entièrement par ses princes francs, ce que le texte note brièvement en ce qui concerne la Vasconie ; voir notamment d'autres livres, d'Histoire ceux-ci, publiés par les mêmes PyréMonde).

Défaut fréquent en uchronie (et en utopie), le livre est assez peu romanesque, beaucoup d'espace étant pris par des dialogues qui permettent d'exposer les conceptions d'Artus et la politique qu'il mène. Le livre connaît quand même quelques péripéties (et quelques déconvenues), où on voit Artus affronter ses pires ennemis : le clergé catholique. Car le nouvel impĕrātŏr, sans être un ennemi du christianisme, ne veut plus que s'impose à ses sujets une religion unique et intolérante — on retrouve ici la même idée que dans Rōma æterna de Silverberg, où l'Empire romain est sauvé par l'absence du christianisme.

Je ne puis m'empêcher de penser que c'est un signe de notre climat intellectuel que cette idée (que la clé du bonheur social réside dans le fait que de nombreuses religions restent en concurrence) se retrouve dans le royaume de “Pirènia” mis en scène par Pere Morey dans Pirènia, el país que mai no va existir. Morey, qui est majorquin, est sans doute plus inspiré par l'exemple de l'Espagne d'avant 1492 ; Laigle reflète sans doute partiellement les débats français contemporains quand il met discrètement en avant une méfiance plus particulière vis-à-vis de l'Islam, particulièrement conquérant il est vrai à l'époque du roman. Les généraux musulmans brûlent ce qui reste de la bibliothèque d'Alexandrie, les moines catholiques détruisent le précieux scriptōrĭum de Cassiodore, tous horrifient Artus, qui cherche à sauver les bibliothèques par tous les moyens — on est ici dans le même état d'esprit que Sprague de Camp : l'idée très contemporaine qu'il y a des Lumières à préserver de l'extinction. On aurait préféré une tentative d'approcher la mentalité de l'époque, bien différente de la nôtre ; voire le farouche entêtement anachronique que manifeste Ugo Bellagamba dans son Tancrède — mais c'est sans doute trop demander.

Il reste un livre très documenté (plus de vingt pages de notes en fin d'ouvrage pour faire la part du réel et de l'imaginaire dans les biographies de nombre de personnages historiques), et agréable à lire malgré son côté discursif. Les fans d'uchronie bien construite devraient apprécier — à moins qu'ils ne préfèrent attendre les volumes suivants pour avoir une grande tranche d'Histoire à se mettre sous la dent.

Pascal J. Thomas → Keep Watching the Skies!, nº 64, novembre 2009


  1. Ses responsables distinguent le gascon de l'occitan ; moi pas.
  2. On ne prendra pas les lignes ci-dessus pour un compte rendu bibliographique sérieux ; les indications du site de l'éditeur ne coïncident pas exactement avec la liste de titres de la collection imprimée en page 2 du présent ouvrage, qui date son copyright de 2008, date d'édition que lui attribue le site, alors que l'impression a été achevée en juin 2009, selon la page 151 de mon exemplaire [et en décembre 2008 pour celui de Quarante-Deux].

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