KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Jacques Martel : la Voie Verne

roman de Science-Fiction, 2018

chronique par Philippe Paygnard, 2019

par ailleurs :

John Erns se présente devant une résidence isolée au plus profond des Alpes. Cet homme d'âge mûr vient postuler à l'emploi de majordome auprès de la richissime madame Dumont-Lieber. Si son C.V. et sa motivation semblent être des plus authentiques, il paraît en réalité beaucoup plus intéressé par la collection complète des œuvres de Jules Verne que la maîtresse de maison dissimule, en toute illégalité, au cœur de sa bibliothèque. Il s'agirait de l'une des rares éditions Hetzel intégrales existant encore dans un monde où la dématérialisation est devenue la norme.

Avec la Voie Verne, Jacques Martel projette le lecteur dans un futur proche où, ayant enfin pris conscience des conséquences dramatiques du réchauffement climatique, les dirigeants ont imposé des mesures draconiennes. Ainsi, dans le cadre d'une directive baptisée RecyclAir, tout ce qui est fait de papier, les livres, les magazines, les journaux, doit être recyclé, et il est interdit, sauf permission spéciale, d'en produire de nouveaux. Les ultimes bibliophiles doivent posséder une autorisation administrative pour espérer conserver le moindre ouvrage imprimé. À l'inverse du Fahrenheit 451 de Ray Bradbury où, à travers la traque des livres, c'est la culture et les idées dont ils étaient porteurs que les pompiers détruisent lors d'autodafés, les objectifs de RecyclAir sont honorables puisque toutes les œuvres écrites sont supposées avoir été numérisées et être à la disposition de tous sur le Halo, ce réseau mondial qui a remplacé l'internet. Mais John Erns, le narrateur, nous apprend bien vite qu'un virus informatique, baptisé BigWorm, a définitivement effacé un bon nombre de données du Halo et que les créations de certains auteurs ont disparu peut-être à tout jamais, parmi lesquelles celles de Jules Verne qu'il espère donc retrouver dans leur version d'origine, cachées au milieu des autres trésors que recèle la bibliothèque de Madame Dumont-Lieber.

Cette quête n'est que l'un des aspects du roman de Jacques Martel qui permet au lecteur de découvrir une société où le capitalisme est roi. Certaines entités, telles que la multinationale globale Wángzǐ 7, contrôlent presque totalement la vie des citoyens à travers leurs filiales commerciales et médiatiques, notamment leurs chaînes d'infotainment. Mais c'est également un monde surpeuplé, proche du point de rupture, où des pays comme l'Inde sont prêts à prendre le risque de la colonisation spatiale en envoyant de véritables vaisseaux-villes au-delà du Système solaire.

À ces éléments forts, Jacques Martel ajoute une intrigue distincte autour du personnage de John Erns, qui se révèle infiniment plus original que les premiers chapitres ne peuvent le laisser penser. Mais il vaut mieux ne pas en dire plus sur ce mystère pour éviter de gâcher l'une des trames principales de cette Voie Verne. Outre ce narrateur, que l'on découvre au fil des pages être un grand connaisseur de l'œuvre de Jules Verne, on croise, en la personne de Gabriel, petit-fils de madame Dumont-Lieber, un autre fan absolu de l'auteur de 20 000 lieues sous les mers. Autiste et ne communiquant pratiquement pas avec son entourage, le jeune garçon a ainsi créé, dans le Halo, un univers s'inspirant des événements qui conduisirent à la mort de ses parents et des créations de Jules Verne, en y intégrant les héros (Robur le Conquérant) et les inventions (les machines volantes l'Albatros et l'Épouvante) de Jules Verne pour qu'ils tentent, dans cette simulation, un impossible sauvetage.

Bourré de bonnes idées, peut-être un peu trop, la Voie Verne se lit d'une traite, transportant le lecteur d'une superbe résidence dans les Alpes jusqu'à un palais méditerranéen, de la réalité virtuelle jusqu'aux portes d'une nouvelle conquête spatiale. C'est aussi et surtout un hommage vibrant à Jules Verne à travers les constructions informatiques de Gabriel et le personnage de John Erns. Divisé en deux parties, le roman de Jacques Martel aurait sans doute été plus à son aise en deux tomes, qui auraient permis à l'auteur d'explorer pleinement l'ensemble des thématiques qu'il évoque dans son livre.

Philippe Paygnard → Keep Watching the Skies!, nº 85, août 2019

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