KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

David Gemmell : le Masque de la mort

(Rhyming rings, 2017 [≤ 2006])

thriller fantastique

chronique par Philippe Paygnard, 2020

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Arrogant, imbu de lui-même, Jeremy Miller pensait qu'il serait le journaliste vedette du Herald et il se retrouve chargé d'interviewer Ethel Hurst, une dame d'un certain âge, qui se prétend voyante. Lorsqu'une série de crimes atroces frappe le quartier voisin, Jeremy se verrait bien couvrir l'affaire afin d'obtenir enfin la renommée et les lauriers qui lui sont dus. Paradoxalement, c'est grâce à Ethel, qui se propose d'aider la police à identifier le meurtrier en usant de ses talents particuliers, que Jeremy va participer à l'enquête.

Bien connu pour ses livres de Fantasy, notamment ses cycles de Drenaï et du Lion de Macédoine, David Gemmell (1948-2006) avait écrit ce polar mâtiné de Fantastique sans le soumettre à un éditeur. Retrouvé par sa veuve au fond d'un tiroir, le Masque de la mort s'éloigne radicalement des écrits classiques du romancier. Situé dans le Londres des années 1980, ce roman, derrière la traque d'un serial killer, a un caractère ethno-sociologique marqué. En effet, grâce au personnage du journaliste Jeremy Miller, on peut découvrir des quartiers où les tensions sociales et raciales montent au gré des bavures policières. L'aspect fantastique du livre repose essentiellement sur les visions d'Ethel, capable de revivre des événements en touchant des objets, et les prémonitions de son ami, monsieur Sutcliffe, mystérieux géant noir qui renvoie au passé colonial de l'Empire britannique. À cela s'ajoute le thème de l'homosexualité abordé au fil de l'enquête, faisant apparaître la difficulté d'être gay dans l'Angleterre des années 1980.

L'un des intérêts de ce Masque de la mort réside sans doute dans le fait que le romancier s'y dévoile à travers le quotidien de Jeremy Miller, qui fut certainement le sien lorsque, en tant que journaliste débutant, il faisait des piges pour le Daily mail, le Daily mirror ou le Daily express. On appréciera aussi l'évolution du personnage de Miller, dont la suffisance et la morgue, qui en font un solitaire sans attaches, fondent au contact d'une jeune tétraplégique et d'une vieille voyante. Cette lente transformation participe à l'intérêt de ce court roman, qui n'est pas sans défauts. Le fait que le journaliste s'essaie à l'écriture d'heroic fantasy renforce le côté autofictif du récit.

On peut en effet supposer que ce livre posthume de David Gemmell, même s'il apparaît terminé et cohérent, n'a pas été totalement finalisé pour cette publication. Ainsi, la construction du récit, qui semble prendre appui sur un serial killer et des meurtres particulièrement atroces, mais abandonne trop souvent l'action et l'enquête pour s'intéresser au quotidien des personnages. Bizarrement, même si nul ne doute des capacités extralucides d'Ethel Hurst, ces dernières, tout comme le personnage d'Ethel, sont visiblement sous-utilisés.

Cela se ressent également sur la technique narrative de l'auteur, qui fait le choix d'un récit à la première personne lorsqu'il décrit les faits et gestes de son alter ego littéraire, Jeremy Miller, mais qui reprend une narration à la troisième personne pour les autres personnages, à commencer par le mystérieux assassin, Ethel et monsieur Sutcliffe, les investigations des journalistes et des policiers. Il conserve étrangement ce point de vue extérieur durant les derniers chapitres du Masque de la mort, alors même que Jeremy Miller, son presque-narrateur, participe à l'action.

Avec cette enquête située dans les années 1980, une période de mutations techniques et sociales, le Masque de la mort a un petit goût rétro pas du tout désagréable. Malgré ses légers défauts, la lecture de ce roman posthume est bien plus que divertissante. Mêlant thriller et livre initiatique, il permet de découvrir une facette inédite de l'auteur que fut David Gemmell.

Philippe Paygnard → Keep Watching the Skies!, nº 86, mars 2020

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