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Michel Jeury : la Conspiration des Trois-Noms

Intégrale des nouvelles

le Maître d'école et les anges

Mes chers enfants, vous m'avez souvent demandé comment j'avais connu votre grand-mère. Ça fait maintenant cinq ans qu'elle nous a quittés : je crois qu'elle a été heureuse. En tout cas, j'ai été heureux avec elle. Et maintenant, vous êtes assez grands, tous entre quatorze et dix-neuf ans, pour écouter mon histoire. Les aînés, d'ailleurs, auraient pu l'entendre depuis longtemps. Mais j'ai attendu cet anniversaire.

C'est demain Noël. J'ai rencontré votre grand-mère à Noël 1909, il y aura cinquante ans demain soir, jour pour jour. Blériot venait de traverser la manche, en aéroplane. Et cette année, les Russes ont lancé leurs premières fusées vers la Lune : je regrette qu'elle n'ait pu le voir. Elle était tellement fascinée par le progrès.

Pour que vous compreniez bien mon aventure, il nous faut remonter à septembre de cette année-là. Suivez-moi sur le chemin de Saint-Jean, peu de jours avant la rentrée des classes. Je venais d'être nommé à l'école des garçons, dans ce village où il n'y avait pas encore d'école laïque des filles. Les filles allaient à l'école libre, tenue par les sœurs.

J'avais vingt-sept ans, j'étais célibataire. Ma famille m'encourageait à convoler en justes noces le plus vite possible. Mon inspecteur lui-même me poussait discrètement au mariage. Je me souviens d'une discussion avec mon oncle Guillaume, qui m'a conduit au train dans sa carriole, car je n'avais pas encore de vélo, par ma faute, je dois l'avouer. J'avais préféré un fusil de la Manufacture de Saint-Étienne à une bicyclette Hirondelle de la même manufacture, et je ne pouvais pas m'offrir les deux.

L'oncle Guillaume a fouetté la jument Fafa et m'a donné un coup de poing sur le genou.

« Alors, neveu, te voilà directeur d'école !

— Directeur, si on veut. Directeur sans adjoint, puisque l'école de Saint-Jean-de-Chalard est une classe unique.

— Adjoint ou pas, va te falloir faire une fin sans trop tarder, que je sois encore là pour payer la noce !

— C'est déjà difficile de vivre tout seul avec un salaire d'instituteur. Alors, vivre à deux, sans parler des enfants ! À moins d'épouser une collègue…

— Ma foi, ce n'est pas une si mauvaise idée. Ça te mènerait peut-être dans un bourg ou une petite ville.

— Et puis, mon oncle, les institutrices ne me font pas trop bouillir le sang ! »

À La Coquille, j'ai sauté du train de Limoges, pris mon bâton de marche et ma petite valise, avec quelques effets de rechange et ma trousse de toilette, car j'étais un jeune homme soigné. J'avais fini mes deux ans aux 10e Chasseurs, comme sergent-major, et fréquenté des sous-lieutenants.

J'ai songé un peu le long du chemin. L'oncle avait raison, bien sûr. C'est une institutrice qu'il me fallait épouser, et le plus vite possible. Nous pourrions être nommés dans un village à deux écoles. Notre vie à deux serait beaucoup plus facile.

Hum, hum. Une institutrice assez jeune et assez jolie, ça ne se trouve guère dans les pas d'un cheval. Et puis, comment se mettre en chasse d'une collègue dans ce pays perdu ?

Le soleil brillait comme en plein été, au milieu des nuages que le vent poussait vers la montagne. La route s'élevait en pente douce au flanc des vertes collines entre La Coquille et Saint-Yrieix. Je m'en allais d'un bon pas, frappant le sol de mon bâton pour ponctuer mes réflexions et balançais allégrement ma valise au bout de mon bras droit.

Je m'en allais l'âme tranquille, le cœur insouciant mais plein d'espoir, sur le chemin de l'avenir. Me marier, bien sûr, il le fallait mais ça ne pressait pas tant. Je traversais un paysage que je connaissais bien. Abruptes collines, prairies vallonnées, grasses et vertes, chaumes, guérets, futaies et taillis, chênes, hêtres, châtaigniers, landes d'ajoncs et, de-ci, de-là, un étang isolé de la taille d'une grosse mare à celle d'un petit lac.

Je suis arrivé peu après à un petit bourg, un tas de maisons un peu plus hautes que les fermes du voisinage, qui étranglait la route et la faisait éclater en deux venelles autour de la fontaine. Je me dirigeai vers le bistrot, à l'enseigne Chez Léon, café-buvette quand une charrette à cheval, conduite par une charmante jeune femme et chargé d'un cuvier de linge blanchi, s'est arrêtée devant la fontaine à quelques pas.

« Ho, Nanette, ho ! »

La jeune dame s'est tournée vers moi en souriant.

« Je parie que vous êtes le nouveau maître ! »

J'ai posé ma valise, soulevé mon canotier, incliné la tête.

— « Pour votre service, Madame.

— Je suis Marie-Thérèse Arrivaud, la femme du maire. Vous voyez, je ramène le linge de la rivière. Il est tout propre, il sent bon, et je peux vous inviter à vous asseoir à côté de moi pour vous conduire à la maison… Monsieur le maître. »

Elle a appuyé les derniers mots d'un rire de sa grande bouche, puis elle a écarté les boucles blondes qui volaient sous son chapeau. Je ne me suis pas fait prier pour sauter lestement sur la charrette, après avoir posé ma valise près du cuvier. J'ai croisé son regard, clair et gai. Elle n'a pas baissé les yeux.

Le maire était sans doute un riche paysan, un demi-châtelain, et il avait épousé une fille de la ville, instruite et délurée. J'ai lorgné Marie-Thérèse sans cacher mon admiration. Je la trouvais très jolie avec ses traits un peu durs, ses pommettes fortes, rougies par le grand air et peut-être l'émotion, sa bouche sensuelle et ses prunelles humides qui jouaient sous les longs cils.

Mon cœur s'est mis à battre plus vite, un soupir m'a échappé. Elle a ri de nouveau. Ce n'était pas un rire moqueur, mais un signe de complicité joyeuse.

Elle a guidé la jument vers la sortie du bourg, avec une geste gracieux et large. La manche de son corsage a glissé alors sur son poignet fin cerclé d'un bracelet d'or.

« Mon mari possède la scierie que vous voyez au bord du ruisseau. L'école se trouve à Saint-Jean-Le-Haut ; nous habitons à côté. Vous vivrez chez nous, tant que les travaux de rénovation de la maison d'école ne se seront pas terminés.

Cette situation avait l'air de la réjouir. Je me suis dit : Voilà une jeune femme instruite, sans doute une fille de notable d'une ville voisine, condamnée par le mariage à vivre au milieu des paysans, qui ne savent parler que vaches et froment, en patois de plus… Elle est bavarde, ça se voit. Dieu nous préserve tous les deux de devenir trop amis !

Dieu, je n'y croyais guère en ce temps-là. C'était une façon de parler. J'écoutais Marie-Thérèse en hochant la tête de temps en temps, par politesse, et je fixais le paysage, pour ne pas la regarder en face. Elle a lâché un clappement de langue qui a fait se dresser les oreilles de la jument.

« Je suis très heureuse de voir enfin à Saint-Jean un jeune maître d'école, qui saura préparer nos enfants à l'avenir. Ah, l'avenir, j'en rêve, Monsieur. Nous rejoindra-t-il un jour au fond de notre campagne ? »

Elle a ri un peu trop fort en tirant sur les guides.

J'ai écrasé un soupir dans ma poitrine. Elle bavardait avec moi sans gène ni réserve, comme une notairesse avec un jeune clerc. Elle aimait son mari, elle admirait cet homme riche et puissant, qui régnait avec autorité sur sa commune et devait tenir l'instituteur pour un simple commis.

Au-dessous de la route, qui montait, assez raide, vers un autre hameau, un ruisseau serpentait dans un pré et une arche moussue l'enjambait. L'eau clapotait entre les aulnes et les joncs. Une longue couleuvre verte, allongée sur une pierre, s'est réveillée et s'est coulée sans hâte vers le fossé.

J'ai pensé : C'est peut-être le dernier serpent de l'année. Vite, un vœu, avant qu'il ne soit trop tard ! Ma mère m'avait appris qu'il fallait faire le même vœu au premier et au dernier serpent de la saison, et qu'on avait toutes les chances de le voir exaucé l'année suivante.

J'ai dit à haute voix : « Du Diable si je me rappelle ce que j'ai souhaité au mois d'avril ! ».

Marie-Thérèse a tourné la tête en se retenant de pouffer.

— « Votre souhait de printemps ? Comme c'est dommage ! »

Je me sentis rougir. Eh bien je faisais tous les ans le même souhait depuis mon retour du régiment. Tous les ans, toutes les saisons, à tous les serpents que je voyais, je demandais à la fortune de m'envoyer une compagne belle et gentille…

Marie-Thérèse avait surpris le sourire sur mes lèvres et peut-être une fugitive rougeur sur mes pommettes. Elle a baissé les yeux et joué avec les guides.

« Je forme le même vœu pour vous, mon ami. À deux, on y arrivera plus vite. Non, non, ne dites rien. »

Le soleil d'automne frisait le feuillage des hêtres et des aulnes, couvrait les saules d'un frémissement argenté et éclatait en mille reflets sur la cascade d'un gué. Au bord de l'eau, quelques fleurs se dressaient nues, sans feuilles, au milieu de l'herbe rase. Elles avaient la forme d'un long tube, ouvert au sommet sur un entonnoir de pétales rose pâle, tirant sur le mauve. C'était les colchiques d'automne. Je ne les oublierai jamais.

« Voici la Malonie, monsieur Joumard. »

Deux ailes principales, en équerre, constituaient les bâtiments de la ferme, en face deux ou trois dépendances, au milieu de la cour, pavée et sèche. On aurait dit une cour de château. Un grand chien roux s'égosillait en tirant sur sa chaîne. Une bande de volailles mêlées, poules, canards, dindons, sont accourues en piaillant et en gloussant. Un cheval de selle baie sabotait d'un air impatient à l'entrée de l'écurie. Marie-Thérèse a sauté de la charrette et s'est approchée de l'animal pour lui flatter les naseaux.

« C'est L'Émir ! Ho, L'Émir ? Il est toujours de mauvaise humeur quand mon mari part sans lui. Martial est un cavalier émérite, savez-vous ? »

Elle m'a regardé d'un air de défi. Je ne doutais pas des qualités de son mari. Elle si, peut-être… Elle m'a invité en souriant à la rejoindre. J'ai posé une main prudente sur le chanfrein de L'Émir, qui a poussé un long hennissement.

Marie-Thérèse m'a regardé fixement, sourcils froncés.

« Un beau cheval, n'est-ce pas, monsieur Joumard ? »

J'ai dit que j'admirais les chevaux et que L'Émir était un des plus beaux que j'avais jamais vus.

« Êtes-vous chasseur ?

— Pas trop mauvais. Je n'ai pas de chien, pour éviter les histoires avec les gens ; je m'en passe. C'est un bon exercice. »

Elle me regardait toujours en ôtant son épingle à chapeau. Puis d'un geste vif, elle a découvert son opulente chevelure blonde, nouée en un chignon haut et lâche.

— « Vous allez vous entendre avec mon mari. J'en suis bien heureuse. Il appréhendait votre venue, mais j'avais confiance ! Oui, vous allez bien vous entendre, tous les deux… »

Sa voix et son regard sont devenus pensifs. On devinait un monde d'espoirs, de craintes et de désirs dans sa jolie tête. Était-ce une si bonne chose que le nouveau maître ait des goûts communs avec son mari ?

Nous étions arrivés.

Je respirais depuis un moment le parfum de Marie-Thérèse, et la tête me tournait. Certes, je n'avais rien avalé depuis l'aube, mais ce n'était pas la vraie raison de mon malaise. Je sentais mon cœur se chiffonner et une ondée froide me couler dans le dos.

Marie-Thérèse m'a invité à la suivre dans la maison. Puis, elle s'est arrêtée, main levée, bouche ouverte.

« Mon Dieu, comme vous êtes blanc ! »

Je respirais avec effort. Qu'est-ce qui t'arrive, tu ne vas pas tourner de l'œil comme une petite fille ! Bon Dieu, oui ! J'allais me ridiculiser devant cette jeune femme que j'aurais tant voulu éblouir ! Sans parler des domestiques, témoins de ma honte, qui en feraient des gorges chaudes au village… Même mes élèves le sauraient à la rentrée. J'aurais bonne mine !

Marie-Thérèse m'observait d'un air amical et moqueur à la fois, qui me pinçait le cœur. Je me suis forcé à rire. Puis, serrant les dents, je me suis accroché au bras charitable qu'elle me tendait, je l'ai suivie dans l'escalier et je me suis effondré sur une banquette au bord d'un couloir.

Ce parfum… rose, chèvrefeuille, menthe poivrée et Dieu sait quoi encore, je le connaissais. Mon Dieu, c'était… Non, impossible. Un sergent-major du 10e Chasseurs ne tombe pas dans les pommes pour un parfum de femme à moitié rêvé !

N'empêche, le décor dansait devant mes yeux, puis j'ai “vu tout noir”, d'un seul coup. Le couloir a entamé une giration folle, emportant Marie-Thérèse dans les airs. Elle s'est envolée. J'avais envie de lui crier : « Vous êtes un ange ! ».

On m'a aidé à m'allonger sur la banquette. Je me laissai aller, le corps amolli et le cœur défaillant. Le parfum de Marie-Thérèse entrait en moi par tous les pores de ma peau, inondait mon corps et mon âme, me plongeait tout entier dans un merveilleux souvenir d'enfance : la Dame de l'été !

J'ai sept ans et je suis un petit paysan solitaire et farouche. Mes parents sont métayers du château de Plumausel, et je partage avec les animaux domestiques et sauvages un immense territoire de prés, de bois, de haies, de guérets, de ruisseaux, d'étangs qui entoure la métairie et appartient à “nos messieurs-dames”.

Les messieurs-dames, je m'en fiche, mais l'été, tous les étés aussi loin que je me souvienne, ils reçoivent une invitée, une belle dame blonde qui se promène des heures durant aux abords du château et parfois beaucoup plus loin, seule comme moi. Et je la guette, de loin sans oser l'approcher.

Elle est toujours vêtue d'une robe blanche et coiffée d'une capeline. Quelquefois, ignorant qu'elle est observée, elle ôte son chapeau, laisse couler sur ses épaules sa chevelure pareille à une aile ou une flamme. Je la suis à bonne distance, intimidé autant que fasciné. De temps en temps, caché derrière une haie épaisse, un fourré, un mur éboulé, la berge d'un ruisseau, je peux la voir de plus près, m'assurer qu'elle est toujours aussi belle. Ainsi, les fées existent — je l'ai toujours su. À moins qu'elle ne soit un ange.

Plus tard, elle s'assoit sur une pierre, un tronc couché, ou même sur l'herbe d'un pré, elle relève ses cheveux, les noue en quelques gestes vifs. Souvent, une manche de sa robe, déboutonnée, glisse sur son poignet, découvre son bras jusqu'au creux du coude. Je retiens mon souffle.

La Dame cueille une fleur, appelle les oiseaux, répond à leurs cris en s'essayant à siffler, tête levée, lèvres avancées. Même les lapins et les écureuils ne se dérangent pas à son passage. Parfois, dans les prés, les chevaux s'approchent d'elle d'un air à la fois paisible et décidé, le front baissé, et les oreilles inclinées vers l'avant, ils s'arrêtent à distance respectueuse et la regardent. Je m'attends toujours à les voir s'agenouiller devant elle, puisqu'elle est une fée, ou un ange.

Enfin, la Dame rentre au château. Je dois quitter mon guet jusqu'à la prochaine fois. Mais je connais ses lieux préférés, je n'ai aucune peine à la retrouver le soir ou le lendemain. J'avance à pas de loup, le cœur battant la chamade, oubliant ma prudence habituelle. Je ne veux pas manquer le merveilleux moment où elle va se décoiffer, où sa chevelure va enfler dans les rayons du jour, bouffer sur sa tête, noyer son visage…

Elle se tient immobile quelques secondes, le cou un peu penché sur le côté, les yeux cachés par le flot de la chevelure, les paupières peut-être closes. Et le soleil, filtré par les feuillages, éclate en mille rayons autour de son visage. On dirait une image sur un vitrail d'église. Mais j'aime mieux me représenter la Dame de l'été en fée malicieuse qu'en sainte femme.

Elle secoue la tête et ses cheveux se gonflent encore, les vagues roulent sur ses épaules et sur son corsage, se déplient dans son dos. Elle ramasse son ombrelle et s'en va en gambadant. Elle court, s'arrête, repart à petits pas, se penche pour passer sous une branche, se coule dans un trou de haie. Un jour, elle marche dans un chemin creux, loin du château, son chapeau à la main et son ombrelle sous le bras. Je la suis par un sentier en surplomb. Je respire pour la première fois son parfum, discret, léger, à peine distinct du parfum des fleurs sauvages.

Soudain, un nuage crève, l'averse chiffonne les feuilles, martèle la terre. La Dame abandonne son ombrelle, plaque des deux mains sa capeline sur sa tête et s'enfuit. Elle se réfugie dans une grange, qui sert aussi de bergerie en hiver. J'entre par une petite porte, de l'autre côté du bâtiment, et me cache dans le foin. J'aperçois maintenant deux taches blanches au lieu d'une… La Dame a quitté sa robe, elle la secoue, la met à sécher. Puis, pour se réchauffer, elle chante et danse en jupon.

Et c'est ainsi que j'ai retrouvé la Dame de l'été. Ou une dame qui lui ressemble beaucoup et qui a le même parfum, la même blondeur.

Ce que je venais d'éprouver, s'appelle le coup de foudre, c'est une maladie terrible, mortelle. Rien de pire ne pouvait m'arriver.

Je me préparais à passer au minimum une année à Saint-Jean, et j'étais amoureux fou de la femme du maire ! J'aurais dû avoir le courage de repartir tout de suite. Mais quelle explication donner à mon chef, l'inspecteur d'académie ? Je n'avais, en toute franchise, qu'une seule envie : rester près de Marie-Thérèse Arrivaud, près et loin à la fois. Vivre à ses côtés comme un étranger, car je serais toujours un étranger pour elle. L'aimer en silence, l'admirer sans jamais laisser voir mon émerveillement…

Enfin, pour cela, il était déjà trop tard. Elle avait vu, elle avait compris : je n'ai pas tardé à m'en apercevoir. Son sourire ne me trompait pas. Au début, je me disais : Elle sait, tant mieux ; je n'aurai pas besoin de faire semblant devant elle. Mais il y avait son mari, ses enfants, les domestiques de la Malonie… Elle savait, elle acceptait sans un reproche des sentiments que je ne dissimulais pas très bien. Elle était donc un peu complice. Cette situation entretenait en moi un espoir funeste.

Elle avait deux enfants, Anne, huit ans, et Augustin, dix ans, qui était mon élève. Ils lui ressemblaient tous les deux, surtout Augustin. Je ne pouvais m'empêcher de regarder trop souvent ce gamin, avec la tendresse que je ne pouvais offrir à sa mère. Je songeais : Quel bonheur pour un homme d'avoir de la femme aimée un enfant qui devient son vivant portrait !

Augustin s'intéressait aux aéroplanes. Aucun n'était encore venu dans le pays. Mais le jeune garçon voulait être aviateur. Il s'excitait en y pensant, ses yeux brillaient, il respirait la bouche ouverte. Il avait alors le regard et les traits de sa mère. La tête m'en tournait, le cœur me chavirait. Et, finalement, on parlait beaucoup trop d'aviation à l'école. Les gens s'en sont plaints. Le maire, Martial Arrivaud, me l'a fait remarquer avec sa gentillesse habituelle, en me donnant sur l'épaule une tape amicale.

« Vous savez, mon vieux, la plupart de nos enfants seront paysans et ne verront jamais un aéroplane de près, sans parler de monter dedans. Il y en aura peut-être un ou deux pour aller travailler au chemin de fer. Mon fils rêve beaucoup, c'est de son âge, mais je veux qu'il me rejoigne à la scierie après son brevet. »

Le maire m'avait pris sous sa protection et je me sentais coupable de trahir sa confiance par mes sentiments. À la maison, Augustin parlait aussi d'aviation. Sa mère rêvait avec lui. Un jour, elle a dit, les yeux au ciel : « Moi, je crois au plus lourd que l'air. L'aéroplane, c'est l'avenir. ». Il m'a semblé qu'elle me regardait dans les yeux, à ce moment.

J'ai eu l'impression, bientôt, que mes sentiments pour elle ne la laissaient pas indifférente. Je ne sais par quel mystère nous levions les yeux sur l'horloge toujours au même moment. Et nos regards se croisaient ainsi, une brève seconde, comme si nous avions pensé à un rendez-vous qui n'existait pas, qui n'existerait jamais.

C'était vite devenu une façon de nous rencontrer dans la pensée du temps qui va, de la vie, de la destinée. Toujours sans un mot. Mais quelque chose passait alors entre nous, d'âme à âme.

Je vivais comme un somnambule. Quand je me réveillais, j'essayais de redevenir le bon maître d'école que j'avais été dans les premières années de ma carrière. Mais le plus souvent, je restais nerveux et distrait. Ma classe ne progressait guère et cela se disait. Et puis je maigrissais. Quelques parents d'élèves me soupçonnaient d'être malade. On disait : « Le “régent” s'en va de la poitrine. Il a la fièvre dans les yeux et la figure qui se creuse. ».

Martial Arrivaud s'inquiétait pour moi : « Vous devriez voir un docteur. Je connais un bon spécialiste à Limoges. ».

Je ne demandais pas quel genre de spécialiste. En attendant, il m'emmenait à la chasse, en espérant que l'air des chênes et des bruyères me guérirait.

Marie-Thérèse avait un autre remède à me proposer : « Vous devriez songer au mariage, monsieur Joumard. ».

Justement, je n'y songeais plus. Mon cœur était pris, elle savait bien par qui, et dévoré tout vif. Comment m'intéresser à une autre femme ? J'ai fait un effort, pourtant. J'ai vu un médecin, pas le spécialiste de Limoges, mais un vieux brave homme qui exerçait à Bussière en Haute-Vienne, à quelques kilomètres de Saint-Jean.

Lui ne s'est pas trompé sur mon cas : « Je peux vous rassurer sur vos poumons, votre estomac, votre foie et vos os. Mais quelque chose vous travaille à quoi je ne puis rien. Vous seul pouvez soigner ce mal, avec l'aide de Dieu. ».

Me sachant en bonne santé, les Arrivaud, mari et femme, se sont occupés de me chercher une fiancée. J'ai accepté d'aller rendre visite à une collègue des environs. Elle s'appelait Rosine ; elle était charmante. Jolie, gentille et douce, aimant la poésie, les livres, la nature, la vie, elle aurait fait, j'en suis sûr, une compagne parfaite.

Je me suis forcé à rester près d'elle une heure, à bavarder de choses et d'autres, en buvant sa réserve de café. Au début, elle était intimidée ; puis elle a paru surprise de mon agitation, que j'étais incapable de contenir. Peut-être croyait-elle que j'avais bu pour me donner du courage. Elle avait dû se convaincre que je n'étais pas ivre, même si j'en donnais un peu les apparences. Elle m'observait avec un mélange de surprise et d'indulgence. Comme j'aurais voulu avoir le cœur libre pour elle !

À la fin, elle s'amusait franchement. J'avais soudain envie de parler de moi ; Mais Rosine en avait assez de ce demi-fou. Elle m'a poussé dehors, toujours souriante mais d'une main ferme.

Un demi-fou, voilà de quoi j'avais l'air.

Marie-Thérèse compatissait : « Je prie pour vous. ».

Martial, pour me convaincre des vertus du mariage, me parlait sans cesse de sa femme, quand nous étions seuls, à la mairie où j'assurais le secrétariat, et à la chasse où je me dépensais avec rage pour me briser le corps. Il profitait d'une pause, sortait son porte-feuille et me montrait la dernière photo de Marie-Thérèse.

« N'est-ce pas qu'elle est belle ? Je crois que je vais acheter un appareil. Comme ça, je pourrai photographier ma femme chaque fois que j'en aurai envie. »

Sitôt dit, sitôt fait. Ce fut un Kodak Cartouche à six cents francs.

« Savez-vous prendre les photos, monsieur Joumard ? »

Je ne savais pas mais il a fallu que j'apprenne, pour leur tirer le portrait, tête contre tête, les boucles de Marie-Thérèse roulant sur l'épaule de Martial. C'était une épreuve terrible.

Elle a insisté : « Faites-le pour moi. Il ne comprendrait pas que vous refusiez. ».

Tout cela pour me pousser au mariage… Je suis arrivé au mois de décembre dans un triste état. Ma santé inquiétait tout le monde. Le congé de longue maladie, qui me guettait, m'apporterait sans doute une délivrance. Mais je me demandais si je guérirais jamais.

Un soir, Marie-Thérèse est venue me rejoindre dans ma classe, où je corrigeais à la lampe les cahiers des grands.

« Monsieur Joumard, qu'allez-vous faire ?

— Vous savez ?

— Je sais… François. »

Elle m'appelait par mon prénom pour la première fois.

— « Et vous, Marie-Thérèse, qu'allez-vous faire ?

— Je prie pour que vous ayez le courage de partir ! »

Prier, prier… J'avais cessé de croire depuis l'École normale. Et la séparation de l'Église et de l'État m'avait, comme bien d'autres, libéré de la religion. Pourtant, je regrettais presque d'avoir oublié les prières de mon enfance.

Partir. Elle avait raison. Ma santé était un bon prétexte. Mais le courage, je ne l'avais pas encore.

Pourquoi suis-je resté à Saint-Jean pour Noël ? Parce que je n'osais pas me montrer à ma famille ? Parce que la neige recouvrait le pays et que le voyage me faisait peur ? Parce que j'hésitais quant à ma décision… Oui, je songeais à une solution simple et définitive. La mort m'attirait. Il me semblait plus facile de me tuer que de m'en aller.

Les Arrivaud m'ont naturellement invité au réveillon. J'ai refusé. J'ai mangé seul à l'école. J'avais faim, très faim. J'ai bien dormi. Je me sentais calme, comme si ma décision était enfin prise. Au matin, il avait encore neigé. J'ai regardé longtemps le paysage blanc. J'étais apaisé, presque heureux.

Puis je suis parti, avec une gourde d'un mélange d'eau sucrée et d'eau-de-vie. Je voulais marcher jusqu'à épuisement. Alors, je me coucherais dans la neige pour ne pas me relever… Enfin, ça, je ne le pensais pas vraiment, mais c'était possible. On verrait bien.

J'ai oublié le temps. J'ai marché. J'ai vidé le mélange de ma gourde et, à une source, je l'ai remplacé par de l'eau pure. J'ai marché, j'ai oublié.

J'ai tourné en rond. Je ne reconnaissais pas les lieux.

La neige ne tombait plus, mais une couche épaisse comme un sabot recouvrait la campagne et changeait tout à fait le paysage. Le soir est venu. L'envie de rentrer m'a pris. Je m'en allais entre chien et loup, en tournant la tête de tous les côtés pour me repérer. Soudain, j'ai entendu appeler. Une voix d'enfant ou de jeune fille qui criait : « À moi ! À moi ! ». Ça venait de la corne d'un bois, tout près. J'y ai couru. « À moi ! À moi ! »

Je me suis approché ; j'ai vu une forme sombre qui semblait battre des ailes en agitant les bras sous sa cape. C'était une jeune fille, enfoncée dans la neige jusqu'à la ceinture. En se débattant, elle s'enfonçait encore. Elle avait dû tomber dans un trou d'eau et la glace s'était rompue sous ses pieds. En un tour de main, j'ai ôté mon manteau que je lui ai lancé. J'ai gardé un pan bien serré dans ma main et je me suis jeté à plat ventre sur la neige.

Une minute plus tard, elle était tirée d'affaire, mais toute transie dans sa robe mouillée, et de la boue jusqu'aux genoux. Elle claquait si fort des dents qu'elle ne pouvait prononcer un mot. Et j'avais beau la soutenir, elle ne tenait pas sur ses jambes. Alors, je lui ai pris ses sabots que j'ai mis dans les poches de mon manteau et je l'ai chargée sur mon dos. J'ai eu le temps de voir qu'elle était brune et mignonne à se mettre à genoux devant ! Un ange…

Où ai-je trouvé la force de la porter sur mon dos ? J'étais si éperdu, exalté, que j'aurais porté une fille comme elle sur chaque épaule. Mais que faire, maintenant ? Où aller ?

La Lune se levait ; j'ai reconnu sur ma gauche le clocher de Saint-Agnan. Il y avait à Saint-Agnan une église et un curé… Va pour Saint-Agnan.

Une demi-heure plus tard, je cognais à la porte de la cure, la jeune fille endormie sur mon épaule.

Personne n'a répondu. Tant pis, je n'en pouvais plus, je n'avais pas mangé depuis la veille. J'ai poussé la porte et je suis entré dans une cuisine mal éclairée par une lanterne presque à sec de pétrole. Un curé d'un certain âge ronflait, les coudes sur la table, entre une bouteille de gnôle aux trois quarts vide et un os de jambon pas mal raclé. J'ai posé la jeune fille, je l'ai enveloppée de mon manteau et allongée devant la cheminée. J'ai ranimé le feu, secoué le curé et essayé de lui expliquer la situation.

« Avez-vous une servante, Monsieur le curé ? »

Mal réveillé, à moitié ivre, le pauvre curé roulait des yeux d'halluciné.

— « Une servante ? Non, non. Je vivais avec ma mère. Elle est morte la semaine dernière ! »

La jeune fille tremblait, geignait, claquait des dents. Gare à la pneumonie si on ne lui trouvait pas un lit chaud. J'ai jeté un pot d'eau à la figure de l'abbé.

« Allez me chercher une femme du village !

— Maintenant ? On voit bien que vous ne connaissez pas les gens de Saint-Agnan. Ils me recevraient à coup de fusil !

— C'est Noël, Monsieur le curé. »

Je me suis dit que le curé ne devait pas avoir trop bonne réputation dans sa paroisse.

« Tant pis, on va se débrouiller tout seul. »

Le curé m'a proposé sa chambre. J'ai raflé quelques briques et les ai mises à chauffer, puis j'ai porté la jeune fille sur le lit.

« Aidez-moi à la déshabiller ! »

L'abbé n'en revenait pas.

— « À quoi faire ? La déshabiller ? Mais je ne peux pas !

— On va pas laisser cette pauvre fille trempée jusqu'aux os d'ici à demain ! »

Le curé se tordait les mains.

— « Oh, Seigneur Jésus, pardonnez-moi. »

J'ai commencé à retirer la robe de la jeune fille.

— « Tenez-moi la lanterne et fermez les yeux si ça vous arrange ! »

Après la robe, j'ai dû lui quitter sa camisole, sa chemise, ses bas, ses sous-vêtements… Le curé, qui avait fermé les yeux, n'a pu s'empêcher de les ouvrir à ce moment. Il a poussé un cri comme s'il avait vu le Diable. Il a lâché la lanterne et s'est enfui en criant : « Jésus, Jésus ! ». J'ai entendu la porte claquer.

Je me suis occupé seul de la jeune fille. Je lui ai frotté les bras, les cuisses, les côtes et le dos avec un bout de drap pour la réchauffer. Puis je l'ai couverte avec l'édredon du curé. Elle se plaignait un peu en dormant. Il lui faudrait peut-être un docteur, mais c'était la pleine nuit et on était bien loin de la ville.

J'ai préparé un grog que je lui ai fait avaler, non sans peine. Je suis sorti dans le jardin du presbytère et j'ai appelé : « Monsieur le curé, Monsieur le curé ! ». Personne n'a répondu. J'ai fouillé la maison à la recherche de quelques verres à ventouse ; j'en ai trouvé deux, plus deux verres à boire pas trop ébréchés. Ni ouate ni coton, mais j'avais toujours sur moi un carnet de papier à cigarette. J'ai posé deux fois quatre ventouses à la jeune fille. C'était mieux que rien. Puis je me suis assis à son chevet en attendant le curé. Le temps passait et le curé ne revenait pas. Tout en surveillant la malade, j'ai raclé quelques miettes de jambon autour de l'os abandonné par le curé et je les ai mangées avec un quignon de pain dur.

J'ai commencé à me poser des questions sur la jeune fille…

Elle était bien en chair et sans doute pas très malade… Mais qu'avait-elle donc à courir les champs et les bois sous un temps pareil et dans cet état ? C'était une sorte de miracle que je l'aie rencontrée et que j'aie pu la sauver.

Je me suis assis à côté du lit sur une chaise branlante et j'ai sommeillé. J'ai été réveillé par un fracas de porte poussée à la brusque, une paire de chiens qui jappaient comme des fous, puis une voix sonore : « Holà ! Si le Diable est ici, qu'il se montre ! ».

Je me suis trouvé en face d'un monsieur en veste de cuir, culotte de cheval, chapeau et bottes. J'ai reconnu le comte de Marafret, que j'avais rencontré chez les Arrivaud. Le curé se cachait derrière lui, tête basse. Le châtelain m'a balancé sa lampe sous les yeux.

« Alors, c'est vous qui avez fait une si grosse peur à notre bon vicaire ? Vous avez l'air jeune pour un diable ! Ah mais, je vous connais. Vous êtes le maître d'école de Saint-Jean ! »

Il s'est retourné pour apostropher le curé.

« Vous aviez raison, c'est bien un diable laïc et républicain. Vous le reconnaissez, n'est-ce pas ? »

Alors, l'autre, mi-apeuré, mi-honteux : « Je crois, Monsieur le comte, mais c'est vrai qu'il a l'air moins terrible que tout à l'heure.

— Dites que vous avez eu le temps de dessaouler, l'abbé. Et la fille sans vêtements, vous l'avez vue dans les fumées de la gnôle, bien sûr ! »

J'ai fait signe au comte de me suivre et je l'ai conduit à la chambre. Le curé s'est caché la tête dans les mains.

— « Seigneur Jésus, cette créature de perdition dans mon lit le jour de Noël ! »

Le comte a éclairé avec précaution le visage de la malade.

— « Bon Dieu, l'abbé, vous n'avez donc pas reconnu la jeune Isabelle, du Moinat ! La fille de mon métayer ! La plus jolie de vos paroissiennes ! L'Isabelle du Moinat qui était partie avec les bohémiens, il y a une semaine, et qu'on a cherchée partout ! Vous étiez rond comme une futaille ! »

Puis à moi : « Je ne veux pas savoir où vous avez trouvé notre Isabelle, mais j'ai offert une récompense pour qui la ramènerait et vous l'avez bien méritée ! ».

Le curé est tombé à genoux, en levant les bras au plafond.

— « Merci, Seigneur ; c'est un miracle de Noël ! »

J'ai pris la main de la belle Isabelle.

— « Ma meilleure récompense sera d'avoir sauvé la vie d'une jeune fille. »

Le comte m'a approuvé : « Très bien. Dès le jour, j'envoie une servante pour s'occuper d'elle, je fais prévenir ses parents et le docteur de La Coquille. Maintenant, jeune homme… ».

Il m'a demandé de l'aider à vider dans le jardin la bonbonne d'eau-de-vie du curé. Mais je n'avais pas de rancune envers le pauvre homme. Je n'ai vidé que la moitié de la bonbonne et, plus tard, le curé m'a remercié, les larmes aux yeux.

— « À moi aussi, vous me sauvez la vie ! »

Je suis remonté à la chambre. Isabelle gémissait doucement. Je ne savais pas trop que faire. Je lui pris la main.

« Ça va ? Ça va ? »

Alors, elle s'est mise à parler, comme si elle délirait, en balançant la tête sur le traversin : « C'est pas vrai ! C'est pas vrai : je n'ai pas été enlevée par les courauds ; je suis partie avec un homme ! ».

Elle a ouvert les yeux et m'a regardé.

« Je pensais qu'un jour il m'épouserait. Mais il est marié et… »

De grosses larmes coulaient sur ses joues. Elle a réclamé à boire ; je lui ai versé dans la bouche quelques cuillers de grog. Je me suis assoupi un moment sur ma chaise. Dans la nuit, je me suis réveillé et j'ai écouté sa respiration, saccadée et sifflante. J'étais tout remué. De lui avoir sauvé la vie, je me sentais attaché à elle très fort.

Soudain, elle s'est dressée sur son lit en poussant un cri terrible : « Maman, pardonne-moi ! ».

Elle s'est rendormie, puis de nouveau réveillée peu avant l'aube. Elle avait tous ses esprits.

Elle m'a demandé d'allumer la lampe, puis elle m'a regardé longuement.

« Êtes-vous encore jeune homme ? »

J'ai répondu que je l'étais. Elle a sorti de sous la couverture une main fine et douce, guère une main de métayère. Elle était très jeune, un peu couvée par sa mère ; elle n'avait pas eu le temps de s'abîmer les doigts aux travaux des champs.

Elle a pris mon poignet.

« Monsieur, vous m'avez sauvée ; ma vie est à vous. »

J'ai failli lui répondre que je ne voulais pas de sa vie. Mais je me sentais des devoirs envers elle. Elle avait failli mourir, elle avait peut-être cherché la mort. Je ne pouvais pas l'abandonner à son triste sort. Et puis…

Et puis elle était vraiment belle comme un ange, avec son teint de dragée et ses longs cheveux noirs. Aussi brune que Marie-Thérèse était blonde, mais avec le même regard caressant et rieur, la même bouche…

Soudain, une image très forte m'est revenue de mon enfance : la Dame de l'été !

La Dame de l'été était brune et non pas blonde, comme j'avais cru me souvenir en rencontrant Marie-Thérèse. À cet instant, j'ai su que j'étais sauvé.

Nous nous sommes mariés le samedi 30 avril 1910.

Notre histoire, ma foi, vous la connaissez. Vous en êtes l'heureux épilogue.

Première publication

"le Maître d'école et les anges"
››› Histoires de Noël (anthologie sous la responsabilité de : [Anonyme] ; France › Paris : France loisirs, août 1997)