Keep Watching the Skies! nº 55, novembre 2006
Poul Anderson : la Saga de Hrolf Kraki
(Hrolf Kraki's saga)
roman de Fantasy historique
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Ailleurs dans ce numéro de KWS, il est question du Peuple du vent de Viviane Moore, un roman paru dans la collection "Grands détectives" de 10|18, et qui comporte quelques éléments relevant de la Fantasy. Ici, c'est l'inverse. Un roman publié sous l'étiquette S.-F., qui n'en relève bien évidemment pas, mais qui ne relève sans doute pas non plus de la Fantasy, et à peine des littératures de l'imaginaire, ou sous une forme archéologique. Ce qui ne l'empêche pas d'être passionnant. De ne pas tromper le lecteur avec la couverture — encore qu'il soit peu question de drakkars dans le texte, mais il est difficile de se passer d'eux pour évoquer les Scandinaves du haut Moyen Âge… D'accumuler les combats, les conflits, les rebondissements. D'être une saga passionnante. De confirmer une fois de plus que Poul Anderson est un auteur trop peu traduit1 et trop peu disponible en France, et aux talents multiples.
Mais la Fantasy ? Elle fait partie de l'imaginaire de l'époque. Ou des époques, puisque la saga est supposée racontée en Angleterre au xe siècle. On parle d'éléments en relevant. Il est question d'une Walkyrie. De nains et d'elfes mais à l'interrogatif. De troll mais pour qualifier un humain, ou à propos d'un énorme sanglier, divinisé, mais tout à fait animal et concret. De sorcellerie, de sortilèges et de sorcière, mais sans effets pratiques discernables, et avec même au moins un échec avéré. D'armes qui pourraient être maudites, mais il ne s'agit que d'une opinion. D'une épée qui n'aurait pas été forgée de main d'homme, mais ce n'est jamais que ce qui est écrit dessus. D'une chasse sauvage, menée par un borgne relevant de la mythologie scandinave classique — et non de la tératologie politique française — et monté sur un étalon pourvu de huit pattes, mais le récit est fait de telle sorte qu'il s'agit sans doute d'un rêve. Tout cela relevant des mentalités d'autour de l'an 500. Restent d'autres éléments, un ours miraculeusement pacifique à la façon des bêtes de la Légende dorée, un dragon ailé dévastateur expédié d'ailleurs en deux pages, des guerres animales, corbeaux contre faucons, parallèles à celles des hommes, traduction totémique probable de ces dernières, parfaitement attribuables au temps du récit, aux déformations de la légende, etc.
Voilà pourquoi il a été question plus haut de Fantasy archéologique, reconstituée. Et très minoritaire dans le récit. Le surnaturel est présent parce qu'il imprègne les personnages, mais il n'est pas moteur. Et il est en quelque sorte rationalisé. Non pas expliqué par quelque tour de passe-passe, mais assez clairement donné pour superficiel, pour fictif. De quoi satisfaire ceux qui apprécieront cette atmosphère, et ceux pour qui elle fait normalement partie du décor d'un roman historique qui est aussi un exercice de style, et qui nous plonge dans un monde profondément étrange, ou dans deux mondes, celui d'il y a un millénaire et celui d'il y a un millénaire et demi. Pour notre dépaysement. Pour notre plaisir. Tant pis pour la Fantasy pure et dure, et coups de chapeau posthumes à l'artiste, en espérant qu'il attire davantage l'attention des éditeurs : il reste beaucoup de ses textes à traduire, et un peu à rééditer.
Notes
- Ce livre en est un exemple : son édition originale date de 1973. La traduction est de Pierre-Paul Durastanti.↑