Keep Watching the Skies! nº 61, décembre 2008
Olivier Girard : Bifrost : 51, juillet 2008
revue de Science-Fiction et de Fantasy
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Cela fait longtemps que je vous recommande Bifrost, au titre notamment de son rédactionnel aussi truculent que surabondant. Et ça ne risque pas de changer avec ce numéro : le dossier Lucius Shepard, copieux, se traduit par la publication d'une novella qui monopolise toute la partie fiction du numéro. Ce "Radieuse étoile verte" justifie-t-il le coup de force ? Oui et non. C'est du Shepard, donc du bon, qui ne peut pas laisser indifférent. Mais, même si c'est situé dans un Việt Nam futur où il est possible de se survivre sous forme d'I.A. copiée sur les serveurs d'une multinationale, l'argument S.-F. est mince. Disons que c'est un court roman sur la maturation d'un adolescent qui découvre l'amour et la vérité sur ses origines familiales dans le milieu interlope du cirque (milieu peu vraisemblable pour un Việt Nam du futur proche, mais on s'en soucie comme d'une guigne). Et c'est très bien comme ça (même si c'est peu vietnamien).
Reste le dossier Shepard. Bonne interview, notes de lectures et bibliographie remarquablement exhaustives, où l'on notera la participation distinguée de Jean-Daniel Brèque. Les autres critiques varient par leurs qualités d'écriture — disons que leurs textes souffrent à être lus à la queue leu leu : chacun se sent forcé d'entonner son petit couplet laudatif sur Shepard, et le laudatif itéré devient vite laxatif. Conclusion : si Shepard reste un auteur culte après ça, c'est que Bifrost n'est qu'une revue culte (hélas, je soupçonne fort que ce soit le cas de toutes les revues de S.-F. chez nous, voire de toutes les revues littéraires).
Dans ce qui reste du numéro (une petite moitié), on trouvera les rubriques habituelles : la science par Lehoucq (toujours drôle en plus d'être, naturellement, bien documenté), les nouvelles du milieu assorties de piques de la rédaction, le regard acerbe de Pierre Stolze sur ce qui a pu l'intéresser, le regard perspicace de Frédéric Jaccaud sur le passé de l'anticipation (ici, un parallèle entre George Sand et Jules Verne, étonnant), une chronique des périodiques par Thomas Day qui pulvérise tout ce que je pourrais écrire ici sur le même sujet, et les chroniques de livres. Parfois longuettes, souvent bourrées de remarques pertinentes, elles résonnent de temps en temps de concepts semble-t-il popularisés chez Bifrost par le même Day (la “petite musique” de l'écriture, les horizons d'attente…). La rubrique se renouvelle sans cesse, en s'intéressant sans trop en faire la publicité à un mélange éclectique d'ouvrages, qui dépasse largement du cadre de l'imaginaire habituel (S.-F. + Fantasy + Fantastique) pour traiter d'ouvrages de littérature blanche, ou plutôt noire, même dus à des auteurs étrangers à notre cercle, pourvu qu'ils soient anglophones et dynamitent un peu les habitudes. Mais on y trouvera aussi une recension du dernier Wintrebert chez Glyphes, la Chambre de sable. Bien !
Comme Bifrost se complaît avec concupiscence des coquilles des confrères, nous nous ferons une joie d'en signaler une dans leur sommaire : l'entretien mené par Patrick Imbert (pilier de la partie critique) avec Lucius Shepard est titré en page 1 "l'Homme qui refusait d'être cule", ce qui manque singulièrement de force, dans la mesure où j'ai assez peu de connaissances qui se satisferaient d'être “cule”, avec ou sans "e", et encore moins avec un "en" devant. Une rapide vérification dans les pages intérieures m'oblige à vous révéler qu'il vaut mieux lire le dernier titre du mot avec un "t" entre le "l" et le "e"…
Même dans ses (nombreux) moments de mauvaise foi, je trouve Bifrost singulièrement revigorant, et je vous en conseille donc l'usage régulier, en grandes cuillerées de préférence. N'oubliez pas de l'agrémenter d'un grain de sel.