KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Christopher Priest : le Prestige

(the Prestige, 1995)

roman de Science-Fiction

chronique par Vivian Robert, 2001

par ailleurs :

Auteur peu prolifique, Priest soigne toujours ses romans avec une minutie hors du commun. Ce roman, écrit avant les Extrêmes [ 1 ] [ 2 ], aborde avec beaucoup d'élégance le thème de la magie et le monde des prestidigitateurs.

À la fin du xixe siècle, deux prestidigitateurs parmi les plus ambitieux s'affrontent. Le premier s'appelle Alfred Borden, le second Rupert Angier. Leur histoire nous est livrée par l'un et l'autre, Borden puis Angier.

Leur première rencontre, fortuite, se déroule lorsque Borden assiste par curiosité à une table ronde. Borden reconnaît tous les trucs utilisés par le médium, Angier, et le dénonce. Plus tard toutefois, les remords viennent tourmenter Borden. Ce que fait Angier est une forme de prestidigitation : le spectateur veut croire que ce qu'il voit est la réalité. Et si Angier soulage ainsi le cœur des familles, Borden n'a aucunement le droit de faire choir l'illusion. Pourtant le mal est fait, et Angier ne cessera de monter de mauvais coups contre Borden. Leur célébrité grandissante et leur admiration réciproque amplifieront encore leur rivalité.

Il y a une autre histoire dans le livre, parallèle à la première, qui se déroule à notre époque. Elle est beaucoup plus courte et largement moins importante que celle dévolue à Borden et Angier, si ce n'est pour la bonne tenue du livre et la justification de l'histoire. Deux arrière-petits-enfants des deux prestidigitateurs — dont l'un est hanté par une voix à l'intérieur de sa tête — se retrouvent pour sceller la paix entre les familles après toutes ces années. Ces parties dans le présent sont absolument passionnantes mais elles ne justifient pas entièrement leur place, et Priest n'est pas assez clair avec le lecteur, qu'il ne conditionne pas suffisamment : ce dernier ne sait pas assez à quoi s'attendre pour être totalement satisfait du dénouement abrupt de cette partie.

Le récit dans le passé est entièrement issu du journal de Borden. Cet écrit achevé, on commence à lire la version des faits de Rupert Angier, et l'intrigue prend évidemment une toute nouvelle ampleur. La superposition de différents points de vue, de différentes subjectivités, est un thème dont Priest traite volontiers. Il est ici exacerbé avec les deux récits des deux prestidigitateurs. C'est en fait une des réussites majeures du livre : Priest a le don de mener son lecteur à lire toujours quelques pages de plus. Impossible de s'arrêter avant de connaître les deux versions dans leur ensemble. Par exemple, on attend avec beaucoup d'impatience la description par Angier de la scène de la rencontre lors de la table ronde. C'est jubilatoire, et la méfiance s'impose définitivement entre le lecteur et le livre. Cette méfiance qui avait été installée dès le premier chapitre écrit par Borden au tout début du roman, probablement les pages les plus fascinantes et magiques de toutes.

On peut seulement regretter dans ce livre brillant quelques points un peu fragiles du scénario, des choix un peu trop commodes. L'époque dans laquelle évoluent Borden et Angier se prêtait bien au genre steampunk, qui aurait induit naturellement un spectre d'éventualités dans l'esprit du lecteur, ce qui manque un peu. Mais c'est comme si Priest avait absolument tenu à se distinguer de ce genre — il y a entre autres une étonnante absence de décors — et de ses ficelles les plus usées (l'introduction d'un personnage réel dans l'histoire, ici Nikola Tesla). Un livre à lire au moins autant pour l'ensemble du chemin que pour la destination.

Vivian Robert → Keep Watching the Skies!, nº 39, juin 2001

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