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Gérard Klein : préfaces et postfaces

Anthologie composée par Ellen C. Herzfeld, Gérard Klein et Dominique Martel : les Horizons divergents

Livre de poche nº 7212, mars 1999

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La fin de l'Histoire ne s'est pas produite comme certains le redoutaient en 1984. Du moins celle de la Science-Fiction française. Et nous voilà, les yeux fourbus d'avoir lu plus de mille nouvelles publiées entre 1985 et [Couverture du volume]le début 1996 dans des recueils, des anthologies, des magazines, des revues, des fanzines, à vous présenter les Horizons divergents, cinquième volume de cette série après les Mondes francs, l'Hexagone halluciné, la Frontière éclatée et les Mosaïques du temps. Pas plus que les précédents, il n'a vocation à retracer l'histoire de la Science-Fiction française sur cette douzaine d'années, mais seulement de constituer un choix de nouvelles assurant aujourd'hui et pour longtemps un vrai plaisir de lecture.

Les seize textes que vous allez lire témoignent cependant, de plusieurs manières, des vicissitudes et des bonheurs du domaine. Cinq d'entre eux ont été publiés initialement en 1985 et 1986, prolongeant le rebond qui apparaissait déjà dans la Frontière éclatée. Mais les fins de décennies sont souvent néfastes. Après le désert de la fin des années 1960 et le grand effondrement de celle des années 1970, survint la lassitude des années 1980, et, sur les cinq années allant de 1987 à 1991, une seule nouvelle a trouvé grâce à nos yeux. Fort heureusement, les cinq années suivantes proposent à elles seules dix histoires. Il n'est pas trop tôt, en ce début de l'an 1999, pour estimer à vue que la malédiction des fins de décennies a enfin cessé de frapper la Science-Fiction française. Rendez-vous en 2010 pour s'en assurer pleinement.

Bien entendu, sur un effectif aussi restreint, toute distribution statistique n'a qu'une valeur indicative. Ainsi en va-t-il aussi pour l'origine géographique des auteurs : huit Français hexagonaux, six Québécois, un Suisse et un Français néo-calédonien qui témoigne à lui seul de l'extension pacifique de notre aire de création et de la vitalité du Sci-Fi club de Nouvelle-Calédonie (1). Quant au citoyen helvétique, il s'agit d'un dangereux récidiviste qui figure pour la troisième fois à nos sommaires. La massive présence des représentants du Canada s'explique sans doute par le dynamisme de leurs revues, notamment Solaris et imagine… (2) : ce sont eux qui forment les gros bataillons des années 92 à 95.

La leçon a été bien reçue de ce côté de l'Océan car la renaissance récente de la Science-Fiction française s'explique en petite partie par la liquidation des tendances ésotériques et limitatives et en grande partie par l'apparition de revues qui, plus prudentes, plus discrètes et mieux avisées que celles, aussi flamboyantes qu'éphémères, de la décennie précédente, durèrent davantage et publièrent mieux. Cette reviviscence toute fraîche peut sans doute être datée de la convention d'Yverdon, en avril 1995, intitulée avec pertinence Persistance de la vision et où l'on perçut un vaste frémissement collectif.

Saluons d'abord les héros foudroyés en pleine gloire, comme CyberDreams, né en décembre 1994 et disparaissant après douze numéros en décembre 1997. Citons à l'Ordre du Futur Bifrost, surgi en avril 1996 et coiffant de peu Galaxies apparu l'été de la même année. N'oublions pas Étoiles vives, anthologie périodique de textes inédits née en 1997, ni Ozone, créé au début 1996 et devenu Science-Fiction magazine au printemps 98 à la suite d'une inquiétante mutation qui voue ce périodique bientôt présent dans les kiosques à tenir en France le rôle de Locus, la revue américaine d'information sur la Science-Fiction, la Fantasy et leurs déclinaisons médiatiques, en sensiblement moins austère. Ne négligeons pas Slash, le canard de l'imaginaire qui fit longue figure le premier janvier 1997 pour finir par adopter un format plus sage et vise le même rôle que le précédent avec moins de moyens, ni enfin Yellow submarine, la plus confidentielle mais l'une des meilleures revues françaises, si timide que l'un de nous trois au mois ne l'a pas rencontrée depuis des années. Accordons une mention spéciale, parmi les fanzines, à Présences d'esprits, organe du club de même nom et faisant figure de vétéran puisque créé en novembre 1992.

Pourtant, les nouvelles choisies ne proviennent pas encore des revues françaises susdites. De création trop récente ou postérieure au moment où nous interrompons notre sélection, elles nourriront sans aucun doute les volumes futurs. La plupart des textes choisis viennent d'anthologies variées, assez souvent publiées chez Denoël dont l'une dans la série d'Alain Dorémieux Territoires de l'inquiétude. Il convient de rendre un hommage particulier à cet écrivain, ce critique, cet éditeur surtout, qui disparut prématurément en juillet 1998 et à qui la Science-Fiction française, sur près d'un demi-siècle, doit tant.

Toute cette agitation périodique, qui fit pâlir Fleet Street et trembler Hersant, ne s'arrêta pas à la pression spécialisée. On vit Ciel et espace publier des nouvelles et une rubrique presque régulière. Libération fit plusieurs fois appel à des textes de Science-Fiction pour célébrer l'avenir désastreux de la planète en chaleur et le glorieux An 2000, bien que son Cahier Livres soit demeuré une imprenable citadelle. Le Monde consolida heureusement les velléités anciennes côté critique. Et il est jusqu'au Journal des finances qui fit appel pour fêter ses dixièmes anniversaires à Michel Jeury en 1987 et à Gérard Klein en 1997.

Dans le même temps, les recueils collectifs de nouvelles inédites, improprement baptisés anthologies, fleurissaient de mille parts, avec des allures de manifestes, chez J'ai lu et au Fleuve noir. Sur les marches du domaine, les entreprises parfois racoleuses d'écrivains généralistes en mal d'anticipation se multiplièrent avec un succès qualitatif et quantitatif incertain. Par pudeur et charité nous n'en citerons que deux qui valurent à leurs auteurs la gloire et la fortune, celle de Bernard Werber qui exploita sans vergogne le peuple innocent des Fourmis et celle surtout de Maurice G. Dantec qui débusqua les Racines du mal jusque dans la "Série noire". Cerise sur le gâteau, en cette année 1998, les Particules élémentaires de Michel Houellebecq, privé de Goncourt mais non de lecteurs, eurent l'insolence de réunir tous les traits d'un roman de Science-Fiction (personnages faisant de la recherche, exposés scientifiques conjecturaux, et finalement anticipation d'une société radicalement différente) tout en s'interdisant délibérément, résolument et sciemment, d'y basculer. Peut-il ne faut-il pas chercher plus loin la raison des incompréhensions, voire des haut-le-cœur, de beaucoup de critiques généralistes qui exécutèrent ce livre retors, peut-être remarquable, sûrement habile.

Tant de soubresauts rendirent le choix difficile. Et comme le plaisir premier des critiques et des lecteurs informés lorsqu'ils ouvrent toute anthologie est de pointer avec indignation les absents problématiques, nous allons nous efforcer de leur mâcher la besogne en citant des noms qui ne figurent pas dans ce volume bien qu'ils aient tenu une place indiscutable dans l'histoire de la Science-Fiction française. Certains ne figurent pas ici parce qu'ils se consacrèrent à d'autres champs, comme Michel Jeury, ou d'abord au roman comme Richard Canal et Ayerdhal, ripèrent vers la littérature générale comme Jean-Pierre April, ou s'orientèrent vers les lecteurs adolescents comme Joëlle Wintrebert, ou le public populaire comme Alain le Bussy. D'autres, à l'opposé, ont cultivé une distinction si exigeante qu'ils nous ont semblé tout bonnement s'être éclipsés des limites du genre, ainsi Jacques Barbéri, Francis Berthelot, Emmanuel Jouanne ou Antoine Volodine. Et peut-être Francis Valéry. Pour d'autres, comme les Québécois Daniel Sernine et Joël Champetier, et comme le Belge Dominique Warfa, ou encore comme Raymond Milési, nous n'avons sans doute pas d'autre excuse que d'avoir manqué du discernement nécessaire pour trouver sur la période des textes pleinement convaincants de leur plume. Leur évocation ici devrait au moins les convaincre que nous ne les avons pas oubliés.

Une mention particulière sera accordée à Roland C. Wagner dont le texte parodique H.P.L. (1890-1991) (3) aurait pu figurer dans cette anthologie si cette nouvelle n'exigeait, pour être goûtée, l'équivalent d'un D.E.A. de Science-Fiction. Comme le note Joseph Altairac dans la préface qu'il lui donna, « pour l'apprécier pleinement, avouons-le, il faut être un connaisseur forcené de la Science-Fiction, il faut, comme on dit, être tombé dedans tout petit… ». Nous nous sommes même laissés dire que certains avaient lu innocemment cette biographie uchronique de Lovecraft comme un essai scrupuleux. De cette absence, Roland C. Wagner sera sans doute consolé par son récent prix Tour Eiffel 1998 pour sa nouvelle "Fragment du livre de la mer" qui fut tirée dans le mensuel d'information municipale de la Ville de Paris, Paris le journal (4), à un million cinquante mille exemplaires, diffusion que nous n'aurions pu lui garantir. Mais aucun de nous ne doute qu'il restera dans l'histoire pour sa réécriture des "trois lois de la (sexualité) robotique" qui complètent celle d'Asimov-Campbell et que voici :

première loi

un robot ne peut accorder d'étreinte à un être humain sans son accord ni, restant passif, laisser cet être humain se consacrer au plaisir solitaire

deuxième loi

un robot doit obéir à tous les désirs pervers des êtres humains, sauf si ces désirs sont en contradiction avec la première loi

troisième loi

un robot doit protéger sa virginité dans la mesure où cette protection n'est pas en contradiction avec la première ou la deuxième loi (5)

Une question insidieuse qui se posait au départ de cette recherche était de savoir si le millésime mille neuf cent quatre-vingt-quatre, George Orwell aidant, s'était vu doté d'une postérité horrifique et d'une influence durable. Certes, quelques nouvelles de la présente anthologie ont des accents politiques et font une risette aux utopies totalitaires, ainsi celles d'André Ruellan, de Jean-François Somain, de Jean-Pierre Andrevon, de Serge Lehman, et dans une certaine mesure de Gérard Klein. Mais dans leur majorité les nouvelles ici présentées et celles non retenues qu'elles représentent marquent un indiscutable retour à l'individualisme et à la pluralité, réconfortante ou inquiétante, des avenirs. De ce fait, aucune tendance vraiment dominante ne se dégage de cette décennie.

Or, entre tous, le plus difficile de tous les arts que doivent maîtriser des anthologistes est le dernier, celui de l'ordre de présentation des nouvelles, dès qu'ils renoncent à la simple chronologie.

Histoire de mettre le lecteur dans le bain, les cinq premières reflètent différente facettes d'une Science-Fiction relativement classique ; les cinq suivantes seront dites sociétales car elles jettent une lumière crue, et parfois cruelle, sur la société du début du prochain millénaire ; les six dernières enfin sont poétique, insolite, finale, improbable, uchronique, terrible, et donc inclassables.

Il nous reste à espérer que l'avenir sera de plus en plus ce qu'il est et que nous continuerons à vous aider à le découvrir.

Notes

(1) Organisateur du prix TranspaSci-Fique, ce club a déjà publié, sous la présidence de Frédéric Ohlen et avec l'appui de Pierre Faessel, deux recueils de nouvelles, En d'autres temps, en d'autres lieux… (1994) et la Dernière fugue (1996).

(2) Depuis la parution de ce texte, imagine… a publié son 80-81e et dernier numéro en 1997.

(3) On le trouvera dans sa superbe édition à tirage limité de 1995 due à l'Astronaute mort (72, rue Velpeau — 92160 Antony).

(4) Numéro 89, daté du 15 novembre 1998.

(5) Ces lignes sont extraites du Manuel de la sexualité robotique, 69e édition, 2058.